Martin Winckler (de son vrai nom Marc Zaffran) est médecin de formation, militant de conviction et écrivain par passion. Il est de ces généralistes qui se donnent le temps de prendre soin de leurs patients et sont révoltés de constater que la santé de l’humanité est aujourd’hui à vendre. Dans La Maladie De Sachs, on lit les savoureuses chroniques (qu’on imagine très autobiographiques) d’un médecin de campagne confronté aux problèmes de santé, de couple, de cœur de ses patients, mais également aux rapports avec des collègues qui n’ont souvent pas la même conception sacerdotale de la profession.

Détail qui paraît d’abord anodin mais qui perturbe dès les premières pages, Zaffran choisit une narration à la deuxième personne sur plus des trois quarts du livre. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais c’est si rare qu’il faut un certain temps pour s’adapter. Le choix était risqué et pourtant l’auteur s’en sort avec habileté car, passées les premières pages, ce point de vue crée une authentique complicité entre le narrateur et lecteur, tous deux spectateurs complices de la vie du docteur Sachs.

Sur le fond c’est toute la conception du métier de Zaffran qui prend vie au fil des pages, celle d’un médecin qui parfois ne sait pas, qui ne méprise pas, qui écoute, prend le temps d’ausculter systématiquement et surtout fait ce métier par amour des autres plus que par amour de l’argent. Chaque partie porte le nom du narrateur et nous offre une tranche de vie, une consultation, un enterrement, un drame, un peu d’amour parfois et du désespoir souvent. La forme de la chronique peut de temps à autres rebuter du fait de manquer de continuité, mais ici Zaffran sait faire revenir certains personnages qui n’avaient pas tout dit ou nous expliquer une scène d’un autre point de vue.

On constate peu à peu qu’un médecin se doit de soigner les âmes autant que les corps, que Zaffran en est convaincu et qu’il espère convertir patients et collègues. Seulement, malgré toutes ses qualités ce livre reste insuffisant face à la puissance de l’industrie pharmaceutique. Il suffit de se souvenir que Zaffran s’est fait mettre à la porte de France Inter il y a quelques années après quelques chroniques, pourtant très factuelles mais perçues comme assassines, sur l’industrie du médicament.

Alors dites-vous que ce livre s’adresse aux patients tout autant qu’aux médecins, qu’un patient fait un choix actif lorsqu’il va voir tel ou tel médecin. Zaffran nous livre un récit à la fois captivant, révolté et militant, pour un retour à une médecine digne du serment d’Hippocrate, dont l’auteur nous donne une version dans son livre. On rit beaucoup en la lisant tant on sait qu’aujourd’hui si peu de médecins respectent leur serment. Si nous sommes malheureusement devenus consommateurs de médecine, il nous reste la possibilité d’agir sur la politique de santé en France en fonction de nos actes. Le premier choix que La Maladie De Sachs peut aider à faire est celui du médecin généraliste.
Jambalaya
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le 27 août 2013

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