[Mise à jour de 2021 : Cette critique étant assez ancienne, elle ne reflète pas forcément ma pensée actuelle. Je serais aujourd'hui beaucoup plus sévère avec ce livre, bien moins indulgent.]
On peut apprendre toute sorte de choses intéressantes dans La philosophie Libérale d'Alain Laurent, comme par exemple la généalogie du terme libéralisme, et bien d'autres choses. Le livre met en lumière nombre de points importants qui méritaient de l'être, et fait de salutaires remises au point (à propos, par exemple, du mythe selon lequel les libéraux des siècles passés n'étaient pas favorable à la liberté économique).
L'ouvrage n'est donc pas totalement à jeter, loin de là, mais le bilan reste tout de même fort mitigé. Et pourtant je suis d'accord sur l'essentiel.
Mais, comment dire ? C'est la façon simpliste dont Alain Laurent présente les choses qui est douteuse, et sujette à bien des malentendus. Sa prose — que je trouve personnellement assez médiocre, stylistiquement parlant — a parfois tendance a embrumer les choses plutôt qu'à les éclaircir. Il abuse de formules exagérés pour rendre les choses conformes à son orientation personnelle. Il se vautre souvent dans la caricature simpliste. Nombre de ses interprétations sont fort discutables. Il invente des classement catégoriques aussi artificiels qu'inintéressants.
C'est peut-être d'ailleurs le travers fondamental d'Alain Laurent, sa volonté à tout prix d'orienter, de ranger, de compartimenter, d'étiqueter, de classer, de catégoriser, de distribuer les bons et les mauvais points, en somme d'organiser, qui l'égare, car il ne fait que jouer avec des abstractions. (Toutefois ça lui a moins mal réussi dans Les grands courants du libéralisme chez Armand Colin.)
Si Alain Laurent avait présenté cet ouvrage comme l'exposition de sa compréhension du libéralisme, j'aurais été plus indulgent. Mais il parle trop rapidement au nom du libéralisme. Ce n'est pas tant qu'il en fasse une présentation trop restreinte car il prend la précaution de rester relativement ouvert aux différentes sensibilités. Mais enfin, tantôt il l'est trop, tantôt il ne l'est pas assez. Je ne pourrais rentrer ici dans le détail pour expliquer à quoi je fais référence, ce serait bien trop long et peu intéressant. Je me contenterais simplement de souligner que ce qui ressort du livre en fait, c'est une interprétation souvent personnelle et simplificatrice de l'ensemble des divers penseurs libéraux. Interprétation qui passe dans l'ouvrage comme étant la seule valable.
Il y a certes des abus dans la compréhension du libéralisme qu'Alain Laurent dénonce fort à propos, mais cela ne l'empêche pas d'abuser de convergences ou des classements qu'on perçoit comme quelque peu artificiels lorsqu'on a lu lesdits libéraux. On se demande si nombre d'auteurs (qui sont très différents les uns des autres) qu'il cite se reconnaîtraient vraiment dans la présentation du libéralisme qu'il fait. Je crains que peu d'entre eux seraient entièrement d'accord avec tout que Laurent dit. Mais il fait comme si. Il abuse notamment des citations décontextualisées et recourt systématiquement à des raccourcis ou des extrapolations manifestes. Il omet trop souvent ce qui ne va pas dans son sens. Et je ne parle pas des incohérences nombreuses... (Exemple parmi d'autres : Dans un chapitre incroyable où il caricature la pensée d'Hayek jusqu'à l'outrance, Alain Laurent convoque Rothbard comme un bon critique d'Hayek alors qu'il avait auparavant classé parmi les fous...et l'ouvrage est truffé de ce genre de bizarreries.)
Et lorsqu'il s'hasarde, vers la fin du livre, à rentrer un peu dans des sujets de fond, les arguments sont superficiels et se présentent sous la forme d'une collection d'intentions.
On se demande pour qui pourrait être ce livre. Un lecteur qui connaît le sujet verra immédiatement les interprétations simplistes, quant au lecteur qui ne connaît pas bien le sujet, il risque d'être induit en erreur, ou au moins dans la confusion, par les biais et les simplifications d'Alain Laurent.
Et puis, la couverture est moche. Et puis il y a pleins de fautes de frappe. Et puis le ton pédant par dessus le marché.
Au final, si on peut tirer de cet ouvrage nombre d'éléments intéressants, d'intuitions à approfondir, mieux vaut tout de même s'adresser aux sources. Mieux vaut s'en remettre directement aux auteurs dont Alain Laurent parle avec tant de passion, plutôt que de le passer par son filtre quelque peu déformant.
Si vraiment on cherche une courte vulgarisation de la pensée libérale, je recommanderais plutôt Faut-il avoir peur de la liberté ? de Thierry Falissard, qui, bien qu'également simplificateur, est beaucoup plus concis et moins biaisé. Mais je ne saurais trop insister sur ce point : les ouvrages de seconde main ne remplaceront jamais la référence directe aux sources originales !