Je n'ai pas lu ce livre. Je le lirai. Je me fonde cependant sur de nombreux extraits particulièrement significatifs, sur plusieurs articles de presse qui se sont de toute évidence laissé abuser par une plume totalement artificielle et insincère. Contrairement à Arthur Nesnidal, je ne mettrai pas plus de huit heures pour écrire une page, comme il se plaît à le scander avec une auto-satisfaction particulièrement indigeste. Je préfère recourir à une écriture du cœur, de l'instant, de l'honnêteté, qui elle ne ment pas mais est l'exacte retranscription de ce que je ressens. Il vaut mieux mettre une heure pour atteindre une sincère imperfection que dix pour produire une œuvre faussement parfaite. Il ne s'agira pas pour ma part de faire l'apologie des classes préparatoires dont je connais très bien les travers et les aspects les plus sombres. J'aime à penser qu'elles ne m'ont pas formaté, bien au contraire, mais cela ne m'empêche pas de conserver à leur égard un point de vue parfaitement objectif, non-perverti, et c'est à présent ce même point de vue qui guidera ma plume.
Je connais Arthur Nesnidal, pour avoir partagé une première année son établissement, et une seconde sa classe. J'ai donc évolué au sein de l'univers dépeint dans son roman La Purge, publication dont je le félicite très sincèrement, mais qui m'a profondément choqué. Déchirons dès à présent le voile de la fiction invoqué par l'auteur avec ironie et mauvaise foi, simple prétexte pour dissocier l'écrivain du narrateur qui sont, de toute évidence, la même personne, quelques extraits suffisent pour s'en rendre compte. « Le narrateur me ressemble et dit ''je'' sans être moi » est un motif littéraire très célèbre, depuis Stendhal jusqu'à de Vigan – qui eux le maîtrisent – ne pouvant en l'occurrence tromper personne. La Purge est une autobiographie qui ne dit pas son nom.
Arthur Nesnidal et moi-même avons donc eu, pendant deux ans, sous les yeux, un même univers, des mêmes camarades, des mêmes professeurs, et force est de constater que La Purge est une abominable exagération du climat des classes préparatoires qui, bien que difficile certains temps, restait loin d'être insoutenable. Peut-être l'auteur est-il plus sensible que les autres, peut-être a-t-il vécu différemment cette période mais dans ce cas, parler en son nom sans se laisser aller au mensonge et à la diffamation aurait été plus honnête. Les classes préparatoires ne sont pas des étouffoirs, des machines à broyer la pensée, elles sont des opportunités pour ceux qui savent s'y intégrer sans les vénérer à l'envi, pour ceux qui y évoluent tout en restant lucides. La grande entreprise de diabolisation menée par Arthur Nesnidal mérite donc d'être déconstruite car, n'étant que le fruit d'une pure appréciation personnelle, elle ne résulte en aucun cas d'une description objective. Le roman laisse dès lors faussement penser au lectorat, de manière tout à fait légitime, qu'un danger le guette s'il venait à emprunter la même voie que l'auteur. Qu'il soit sans crainte : le témoignage d'Arthur Nesnidal est convaincant uniquement parce qu'il est publié, contrairement à toutes les expériences positives qui n'ont jamais été couchées sur papier. Pour l'instant.
Là n'est pas le plus dérangeant. En effet, l'attitude d'Arthur Nesnidal pendant ces années demeure bien loin de celle de l'élève perclus et impuissant qu'il prétend avoir été. Relater ici toutes les anecdotes où l'auteur lui-même chercha à nous rabaisser, à nous piéger, à nous éblouir par un prétendu savoir, à nous étouffer par son éloquence, à nous écœurer avec ses points de vue serait totalement indigne et je m'en dispenserai. Je ne veux pas nuire à l'homme, je veux simplement contredire l'écrivain avec respect. Je tiens cependant à souligner que l'exclusion vécue par le narrateur-auteur ne résulte pas, contrairement à ce que laisse penser La Purge, d'une mise à l'écart de la part du corps professoral mais d'une ostracisation venant de la plupart des élèves incapables de supporter plus longtemps son exubérance parfaitement déplacée et sa condescendance tout à fait épuisante. Le décalage entre ce qu'était l'élève « véritable » et la victime romanesque est beaucoup trop important pour être passé sous silence : si Arthur Nesnidal ne s'était pas autant accompli dans le système qu'il a l'ambition de dénoncer, sans doute son œuvre aurait-elle eu une résonance complètement différente. Toutefois, comment se fier à un pseudo-pamphlétaire qui s'est parfaitement intégré dans son établissement jusqu'à y passer trois ans, jusqu'à désirer y rester encore une année de plus, qui vénérait certains de ses professeurs, qui plaisantait avec eux, qui récitait des vers à l'entrée des salles de classe pour que chacun pût s'abreuver de son Verbe, qui prenait tant de plaisir à prolonger les cours avec d'innombrables questions, qui s'écoutait parler en défendant – d'ailleurs à tort – tel emploi du subjonctif. Pourquoi donner l'impression de détester à ce point un monstre qu'on n'a cessé d'alimenter ? Soit l'auteur est hypocrite, soit il fut sadomasochiste. L'alternative est dans tous les cas effrayante.
Ainsi, Arthur Nesnidal n'était pas trop intelligent pour réussir dans une classe préparatoire, comme n'hésitent pas à l'affirmer certains journaux. Il est plus facile d'invoquer sa supériorité et sa non-conformité plutôt que d'admettre son échec. D'ailleurs, si l'auteur avait obtenu le concours final, aurait-il pris le temps d'écrire ce livre ? La Purge n'est-elle pas que la peinture d'une immense frustration ? N'est-elle pas qu'un simple épanchement de haine, haine d'avoir été remis à sa place après avoir cru, pendant toutes ces années, être le meilleur ? L’œuvre se trompe de procès et accable l’Établissement d'intentions totalement mensongères, comme la discrimination envers les boursiers, la vétusté de l'infirmerie ou encore la morgue systématique des enseignants au détriment d'une remise en question de soi qui aurait sans aucun doute été souhaitable de la part de l'écrivain.
En somme, La Purge est un travestissement de la part d'un élève n'hésitant pas à renier ses valeurs en se victimisant, oubliant ce que la classe préparatoire lui a apporté, la manière dont il s'y est complu, pour en fournir une description en teinte unique et sans la moindre nuance. J'ai ici parlé en mon nom mais je sais que mon propos est partagé par de nombreux autres élèves de la même promotion qui, de la même manière, n'ont vu dans La Purge qu'une espèce de mascarade opportuniste voguant sur la tendance actuelle consistant à dénoncer les grandes institutions pour satisfaire le plus grand nombre de lecteurs. Doit-on se prostituer pour plaire à l'horizon d'attente ?
Par honnêteté intellectuelle, je le répète, je lirai néanmoins La Purge. J'emprunterai le livre. Je ne peux me résoudre à l'acheter. Ce serait donner de l'argent à tout ce en quoi je ne crois pas, financer un subterfuge, encourager la volte-face et le renoncement à soi pour séduire le plus grand nombre. Ce livre aurait pu être un chef-d’œuvre. C'est une monstruosité. Avec La Purge, Arthur Nesnidal crache dans une soupe qu'il a lui-même contribué à empoisonner.
Jacques Marckert