Il y a des fois où je m'en veux. Je m'en veux de ne pas avoir écrit cette chronique dans mon petit carnet tout de suite après avoir tourné la dernière page, car même si cela ne fait qu'une semaine que je l'ai terminé, mes pensées ne sont plus tout à fait aussi claires que lorsque j'en suis sorti.
Christopher a tout quitté. Parents, frère, amis pour se retrouver en la ville : Londres. Pour se retrouver seul à errer. Pour se retrouver SDF, grelottant de froid, dormant sur un carton, son bien le plus précieux avec son duvet. Pour se retrouver face à lui-même, sans but, sans pourquoi. Pour se retrouver anonyme dans une petite rue, où personne le regarde, personne ne lui pose de questions, car ça n'intéresse personne et pour Christopher c'est tant mieux.
Alors quand un jeu de télé-réalité lui propose de jouer sa vie, Christopher n'a rien à perdre, car il n'a rien, ou plus rien, parce qu'il a choisi de ne rien avoir. Alors il s'inscrit. Pièce par pièce économisée, il s'achète du data dans un centre. Se connecte. S'inscrit. Inspire. Et son cerveau qui s'était mis en pause depuis le temps qu'il trainait dans la rue, reçoit une décharge, un shoot, une overdose de questions. Enfin Christopher se réveille et va réveiller le monde. Le principe du jeu étant basé sur la pyramide des besoins humains de Maslow, les besoins de chacun ne sont peut-être pas les mêmes. Et Christopher va progresser dans le jeu toujours en contre pied, passant d'étapes en étapes. Son seul risque : se faire repérer avant le fin. Christopher veut rester le plus longtemps possible anonyme jusqu'au moment où il retrouvera la lumière : la lumière des projecteurs : Christopher des réseaux sociaux va voler en éclat pour laisser la place à Christopher de la rue, ou pas.
Christopher, va lutter contre son démon, qui le suit dans la rue et pour s'en prémunir un maximum, il traîne avec Jimmy, SDF, pochard, vieux débris de la société. Leur amitié quelque peu particulière est néanmoins solide, mais pour combien de temps. Le temps de vivre la même expérience, le chemin des rues sera-t-il identique pour eux deux ? Jimmy, à sa manière, protège, aide, accueille Christopher dans sa vie, car même s'il n'a rien, s'il ne dit pas grand chose, il y a cette connexion invisible qui peut se créer entre deux être vivants. Cette connexion qui n'existera jamais à travers les réseaux sociaux, car elle n'a pas de nom, elle a des sentiments, forts, violents, où la limite entre l'amour et la haine n'existe pas car l'instinct prédomine. Toute cette complexité de ces sentiments est extrêmement bien abordé par Caroline Solé. Avec beaucoup de pudeur, elle nous décrit des scènes quotidiennes qui nous donneraient envie de tourner le regard si nous les voyons, mais qui ici nous immergent dans un univers tellement réel mais éloigné de notre vie, sans aucun voyeurisme, que le résultat est particulièrement bluffant.
Au final, je ne savais plus si je voulais voir Christopher gagner, ou non. Gagner pour montrer que chaque pyramide est différente, et que nos vies bien rangées ou rien ne dépasse, n'est pas celles de certaines communautés. Beaucoup d'altruisme ressort de l'écriture de ce texte. Christopher l'anonyme, Christopher le reconnu. Un déchirement pour la même personne qui le conduira vers une fin surprenante et totalement dans la continuité de ce texte.
Une très belle réussite que ce roman, qui devrait parler aux adolescents, et même s'ils n'est parcouru qu'au premier degré, les sens cachés seront, j'en suis sûre, semés dans l'esprit des jeunes lecteurs, pour germer plus tard, lorsque leurs cerveaux seront irrigués de nouvelles rencontres, de nouvelles idées, de nouvelles découvertes.
Un roman, que je lierai probablement encore, pour y découvrir toutes ces choses à côté desquelles je suis passée.
Et puis rappelez-vous, la célébrité de fait pas tout ou plutôt rien.
https://exulire.blogspot.com/2019/05/la-pyramide-des-besoins-humains.html