Elle s’appelle Hildegard Müller et elle a soixante-seize ans. Enfant du Lebensborn Programm, orpheline sacrifiée à la volonté de l’Allemagne nazie de créer une race supérieure. A la fin de la guerre en 1945, elle a dix-huit mois. Sa mère ? Peut-être une norvégienne. Son père ? Probablement un SS. Son identité ? Totalement inconnue. Niée, oubliée, détruite avec toutes les notes et les archives de ces lieux destinés à élever les enfants du futur d’une Allemagne régnant sur le monde. Son nom est-il seulement son nom ? 


Comment raconter l’histoire d’une personne qui ne sait pas d’où elle vient, qui elle est, qui n’a aucun souvenir de son enfance, qui s’est construite sur du vide. Le vide abyssal d’un programme fou qu’on a ensuite voulu oublier et les enfants qui en étaient issus avec.


C’est le tour de force d’Oscar Lalo qui sait nous rendre palpable à la fois l’extrême détresse de cette femme et l’incommensurable horreur de ce qui a été vécu. 


Et Hildegard s’interroge : peut-elle établir un parallèle entre son histoire et ce qu’ont traversé des milliers d’enfants juifs, déportés et tués ? N’avoir aucun souvenir ni aucune idée de qui sont ses parents, avoir été totalement occultée par l’histoire et le pays qui l’a fait naître sont-ils préférables aux souvenir atroces que d’autres enfants ont rapporté de ces années de guerre ? Comment se construire et tout simplement être dans un monde qui vous refuse toute légitimité et toute existence réelle ? Comment vivre avec ce sentiment de culpabilité et d’illégitimité qui ne vous quitte jamais ?


Si je connaissais l’existence de ses pouponnières (je ne savais pas par contre qu’il y en avait eu une en France), je n’avais jamais réfléchi aux conséquences que cela pouvait avoir eu sur les enfants qui y avait été élevés. Car ils ont été privés non seulement de leurs parents mais aussi de chaleur humaine et d’identité propre pour finir par être totalement rejetés. Dans le cas d’Hildegard même la plus élémentaire éducation ne lui a pas été donnée : elle sait à peine lire et écrire. Et que dire de leur sortie de ces lieux ? Ballotée d’orphelinats en familles d’accueil, Hildegard a été condamnée et rejetée à cause de ses origines. Comme si une enfant de dix-huit mois portait dans ses gènes à la fois le germe nazi et la honte qu’elle pouvait représenter. 


En chapitres brefs qui sont autant de pensées, Hildegard nous conte son histoire grâce à celui qu’elle nomme son scribe et qui l’aide à transcrire ses pensées et à rechercher les traces de son existence. Car même si elle a construit un foyer, eu des enfants, elle reste cette orpheline victime de la folie la plus effrayante. Pour tous ces enfants ignorés et broyés par une machine implacable ce livre est un récit indispensable, un éclairage et un travail de mémoire nécessaires et un hommage vibrant pour dévoiler ce terrible secret.

Christlbouquine
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le 28 sept. 2020

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