Envoyée à l’usine pendant que son frère part étudier à l’université, Mei, jeune chinoise de 17 ans, mène une existence morne, vivant en léthargie dans un monde qui ne lui ressemble pas et où elle se sent étrangère à elle-même. Tel un automate, elle répète inlassablement les mêmes gestes dans l’atelier de l’usine. Pourtant, de temps à autre, derrière le voile de l’indifférence avec lequel Mei se couvre chaque jour pour pouvoir supporter cette existence, frémit le désir de fuir, le regret lancinant de tout ce qu’elle ne verra jamais du monde extérieur, la frustration inavouable de son avenir sacrifié. Avec une volonté de fer, elle s’efforce de contenir et d’étouffer ces émotions, seules quelques bribes lui échappent de temps à autres lorsque ses pensées vadrouillent, rêvant d’ailleurs, dévoilant un instant les désirs secrets de la jeune femme. Cependant la résistance de Mei se craquèle et s’effrite lentement. Chaque jour, elle est poussée à bout et psychologiquement violentée par les contremaîtres la harassant avec des exigences de rendement toujours plus importantes. Et chaque jour elle se fait violence pour supporter une vie en communauté dans laquelle elle se sent étrangère. C’est donc avec une grande impatience que Mei attend le nouvel an, et avec lui, l’assurance de quelques jours loin de cet environnement où son être se délite lentement.

Au moment où la situation lui paraît désespérée, Mei rencontre un homme qui ravive son être tout entier et lui ouvre de nouveaux horizons, il lui apprend l’amour entre deux êtres mais aussi celui d’une vie qu’on croque à pleines dents. Cet autre monde, auquel elle aspirait secrètement tout ce temps, semble tout d’un coup si proche et accessible. L’avenir devient soudain étincelant. Entre les bras de cet homme, elle reprend couleur, et elle s’y abandonne, se donnant sans restriction, pour vivre, enfin. Alors qu’elle est encore plongée dans ce rêve éveillé, Mei entrevoit soudain l’issue de leur histoire, sachant au fond d’elle qu’ils seront rattrapés par la réalité impitoyable de l’usine, ses codes et ses règles … Mais animée par la fougue et la passion de sa jeunesse, elle refuse de baisser les bras et entretient l’espoir fou d’une vie à deux, avec lui, loin de l’usine de textile.

La Fabrique du monde est un roman court, mais bouleversant, qui réussit à immerger entièrement le lecteur dans la peau de Mei, à peine sortie de l’adolescence et déjà impitoyablement jetée dans l’univers aliénant des ouvriers. Le style, tantôt haché, froid et mécanique, mettant en exergue cette aliénation vécue par la jeune femme, tantôt virevoltant, poétique et scintillant, exprimant la passion et la fougue amoureuse, colle parfaitement au flux de pensées et d'émotions de Mei. Sophie Van der Linden oscille habilement et avec une grande fluidité entre ces différents styles, le lecteur se retrouve plongé dans l’histoire, partageant les émotions de Mei et se surprenant à espérer avec elle un avenir meilleur.
Windylluvia
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le 9 juin 2014

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