Lu Xun est le plus grand écrivain chinois du Vingtième siècle. Voilà une affirmation qui pourrait paraître pour le moins tendancieuse, voir carrément excessive. Pourtant, sauf découverte assez peu probable d’une œuvre demeurée inconnue jusqu’à cette date, il se trouvera assez peu de monde en mesure de la contester sérieusement.
Lu Xun en aurait été lui-même le premier surpris et pour qui connait un peu le personnage, il en aurait même été fortement déçu car ce constat va tout à fait à l’encontre de ce qu’il espérait pour la Chine, pour son évolution. Mais le pessimisme que lui-même se reprochait constamment, qu’il considérait comme une sorte de tare accrochée à sa personnalité, comme un frein, s’est finalement révélé parfaitement fondé. La Chine du XXème siècle s’est démontrée comme un espace fort peu favorable à la création littéraire sous quelque forme que ce soit et au-delà à la liberté d'esprit.
Pour qui connait la grande richesse culturelle passée du monde chinois, il a en effet quelques raisons de s’en surprendre. Après tout, les deux précédents millénaires n’avaient eux-mêmes laissés qu’une place assez restreinte à la liberté des idées : les dynasties impériales qui s’y sont succédées estimant toujours que la volonté de vouloir penser par soi-même était une manifestation extrêmement fâcheuse qu’il fallait restreindre à tous prix.
Pourtant, seule la bureaucratie totalitaire d’inspiration Orwellienne qui prit le pouvoir en Chine quelque temps après la mort de Lu Xun, semble y être pleinement parvenue ; faisant table rase de la culture dans un processus de destruction permanent qui se poursuit encore aujourd’hui. Ne laissant place qu’à quelques balbutiements protestataires immédiatement réprimés.
Reste donc, quasiment comme seul rescapé de son siècle en Chine en tant que pensée autonome, Lu Xun ; qui à lui tout seul doit donc se faire la voix de cette détresse et d’une certaine manière du silence de tous les autres. Ne pouvant plus le faire taire, la domination en Chine s’est donc beaucoup préoccupé de le falsifier et de déformer sa parole dans ses Éditions d’État ; allant même jusqu’à lui faire faire, post-mortem, l’éloge du « grand timonier ».
Tentant de garder le contrôle jusque sur les différentes traductions parues dans le monde en les confiant à des affidés du système ; pour l’affadir et en retirer le potentiel subversif.
Il est donc difficile de découvrir le vrai Lu Xun, sa grandeur discrète derrière la statuaire officielle.
Ce petit recueil de poèmes en est l’occasion, traduit par Pierre Ryckmans/ Simon Leys qui, et ce n’est pas un hasard, fut aussi le premier en occident à dénoncer la vraie nature du régime maoïste. Partez à la découverte de Lu Xun, il le mérite vraiment.
"Ainsi, on pourrait dire que la plupart de ces textes sont de petites fleurs pâles abandonnées au bord de l'enfer; ils ne sont évidemment pas beaux. Mais même cet enfer, nous allions devoir le perdre. C'est ce que je compris en observant de près les discours et le ton de quelques héros éloquents et farouches qui n'avaient pas encore, alors, pleinement réalisé leurs ambitions. C'est alors que j'écrivis "Le bon enfer perdu". (Préface à l'édition anglaise de "Mauvaises herbes" - novembre 1931)