Un suédois, viscéralement ivre de liberté. Un être d'eau à forme humaine. Avec un lourd signe indien : le père et le grand-père sont morts noyés. Ca fait deux excellentes raisons de fuir les flots, cette peste bleue. Mais on ne change pas sa nature, et la la mer demeure une sève iodée coulant dans les veines de père en fils. L'appel du large, juste irrésistible. Le passé n'a jamais été un frein pour l'avenir en bleu.
Bonne intuition : Jamais Björn Larsson ne fut jamais plus heureux que lors des errances du gîte. Du sol instable. L'homme a navigué sur un petit voilier, seul, avec un ami, puis avec sa compagne, amoureux des eaux farouches de l'Atlantique nord, rôdant plusieurs années autour des terres celtes et scandinaves.
Etrange bonheur, car nourri en sourdine d'une angoisse permanente. Celle de l'incertitude du lendemain, ou de l'heure qui suit. On ne dort que d'un oeil, avec une haute conscience de sa fragilité. Et les dangers s'empilent. Une voile agaçante qui claque pendant des heures. Nuits d'encres, avec de lourds débris dérivants perceurs de coque. Un ferry qui vire de bord au dernier moment. Un vent furieux qui fait trop gîter le bateau. Une mer démontée, des tourbillons, et parfois même la lassitude qui mine le moral. Et de vivre avec ce paradoxe, souligne-t-il, où l'on est tout à la fois prisonnier des flots, avec toute la liberté du monde pour soi.
Pourtant, la somme de ces inquiétudes n'entame en rien ce désir insensé de vouloir retourner en mer, une fois les pieds à quai. Le vrai marin dépérit lentement sur terre, tandis qu'en mer, il survit, et réchauffe son âme. Il appartient, contre toute logique, à quelque chose de plus remuant que le simple instinct de conservation des sédentaires.

Bien sur, il y a aussi les justes récompenses à tant d'abnégation : un whisky, une cigarette et une tasse de café, en ciré devant la table de navigation, les siestes réparatrices sur une mer d'huile, les couchers de soleil d'une pureté sans égal, les baies vierges d'humanité d'une magique beauté, et surtout toutes ces rencontres avec d'autres navigateurs, tous complices de leur indicible passion. Après l'enfer de l'effort, le bonheur du réconfort, tout simplement.
Larsson, fort heureusement, ne s'abîme pas dans l'idéalisation naïve des grandes eaux, dont il connaît les cruautés. Son lien demeure inexplicable, mais il mesure bien que tout le monde n'a pas ça dans le sang, loin de là. Une modestie salutaire à lire, pour nous pauvres terriens sédentaires que nous sommes.

"La sagesse de la mer" se lit presque d'une traite. Le titre est un peu trompeur. Belle humilité : la mer est capricieuse, et c'est surtout de la sagesse du marin qu'il s'agit. Chaque chapitre aborde un aspect particulier de cette vie sans frontières, voire une réflexion existentielle plus vaste. Sans pour autant noyer le profane de termes techniques, mieux vaut avoir quelques rudiments de navigation pour en saisir toutes les subtilités.
Mais qu'importe car l'essentiel est ailleurs : sans user d'envolées lyriques - et pour peu qu'on ait un peu le coeur vagabond - l'ex-marin transmet chez son humble lecteur la douce envie de caresser les frimas du grand large.
Au moins, juste pour bénir et fêter le retour à la terre ferme...
franckwalden
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le 7 janv. 2014

Modifiée

le 7 janv. 2014

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Franck Walden

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