La Stratégie du bouffon fut publié en 1990 par Serge Lentz, plus reconnu pour sa carrière journalistique. L’écrivain a su nous conter un récit fictif mais incroyable sur l’ambition d’un homme du Languedoc ( Nicolas d’Ausone) dont la fortune et le pragmatisme familial ont failli le mener aux plus hautes sphères du Vatican. L’époque choisie par Serge Lentz ( la fin du quinzième siècle) n’est pas anodine puisqu’elle est celle où l’Eglise se cache parfois derrière des manœuvres et un despotisme religieux ( afin de conserver une autorité sur les fidèles) chez ses représentants, qu’ils soient prêtres, évêques ou cardinaux. Une réalité peu flatteuse mais décrivant les prémices de l’Inquisition. Ce qui est au cœur du livre, c’est la rencontre entre Ausone ( finalement banni de Rome pour ses manœuvres et autres frasques sexuelles et se retrouvant relégué dans une abbaye perdue dans la campagne languedocienne) et le moine Marin. Une opposition de styles sur la façon de vivre et de dispenser la religion où les deux hommes vont se confronter sans renoncer à leurs vécus et leurs méthodes. Le trait est à la fois comique et ironique tout en ne perdant pas l’enjeu principal du livre étant de montrer que l’Eglise se retrouve démunie dans ses fondements face à un moine qui prêche le plaisir, le bien manger et bien boire ainsi que le droit au bonheur pour la multitude. Serge Lentz, en choisissant Jean Muret (homme à tout faire de Nicolas d’Ausone), comme narrateur est parvenu à distiller dans ce récit tous les contretemps des événements s’enchaînant inexorablement pour une vérité finale prouvant que Nicolas et Marin ont malgré tout conservé un respect mutuel l’un pour l’autre malgré leurs désaccords constants et leurs visions du monde aux antipodes. La stratégie du bouffon procure de très bons moments de lecture, n’enjolive pas du tout l’attitude de certains religieux pour pointer leurs manquements ou leurs faiblesses, et permet de s’immerger dans un contexte historique déjà problématique. Je vous conseille donc ce livre habité où une morale déguisée affleure même dans son épilogue, ce qui ne gâche rien.