Vous attendiez un livre sur Alain Juppé. Vous en aurez un sur Gaël Tchakaloff. Les 263 pages déclinées en 21 chapitres ont un seul sujet : elle-même. Gaël Tchakaloff. Journaliste au Nouvel Economiste tombant amoureuse du clan Juppé. Sa stratégie pour se faire tolérer, puis apprécier. Sa passion pour la famille. Son émotion, souvent. En bref, Gaël Tchakaloff dépouillée de ses habits de journaliste. Ce n’est pas pour rien qu’un chapitre porte son prénom.
L’auteur l’avoue elle-même : elle s’est lancée dans l’aventure pour oublier la mort d’un être cher, sa mère. Pour pallier le vide de l’absence, elle choisit de se fondre dans une famille qui n’est pas la sienne. Et se prend dangereusement d’affection pour elle. « Ce livre est un sauvetage… Je vis pour écrire, j’écris pour survivre », écrit-elle. Ni une enquête, ni un portrait, ce livre est une thérapie.
Gaël donc, n’hésite pas à détailler sa mission quasi impossible : s’infiltrer chez Juppé. Ses collaborateurs, sa famille, ses amis. Pour cela elle abandonne tout pendant les 18 mois de l’enquête : son temps, ses enfants, son couple. Sa déontologie et son éthique également. Pour peu qu’elle en ait eu avant. Pour obtenir ce qu’elle veut, elle harcèle et séduit Gilles Boyer, le directeur de campagne. Une « robe de bure » pour avoir l’air sérieuse, « décolleté plongeant » et « jupe fendue » quand ça ne fonctionne pas. Des « Gilles chéri », « Gilles mon ange », « mon cœur » à foison. Une lettre devenant dissertation sur leur relation incongrue. Ou encore : « dépose-moi en taxi à mon hôtel ou je vais me perdre », « Je vous ai déshabillé dans les mots, j’attends de le faire en vrai ». Elle raconte tout, sans honte. Original. Et honnête.
Résultat, zéro distance avec son sujet. Dans l’écriture, Tchakaloff s’adresse directement aux personnes qu’elle décrit. Dit « tu » à Virginie Calmels, « vous » à Isabelle, l’épouse du candidat. Tombe sous le charme de Laurent, le fils. Et le dit : « A l’issue de la première matinée que nous avons partagée, j’étais si hébétée, si émue, qu’il a fallu que je rentre chez moi, en pleine journée, que je file dans ma chambre et que je ferme les rideaux, pour prendre un peu de distance. Retournée, tétanisée, à but de souffle, sans explication. » Elle gratte quatre pages pour raconter comment Juppé lui a pris la main à la fin d’un meeting en signe d’affection. Le saint Graal. « Alain a englouti la journaliste », admet-elle. « Je suis passée de l‘autre côté de la barrière. Je n’arrive plus à écrire. Trop proche d’eux désormais. »
Quoi qu’on pense du procédé, il est efficace. Le livre se dévore. Le lecteur devient Gaël Tachakaloff. La suit dans toutes ses rencontres, sens ses interlocuteurs, les voit, les entend. A la fin, l’impression fugace de mieux les connaître. Les amis d’enfance, les enfants, sa femme, son ex-femme, Hubert Védrine, Virginie Calmels, Gilles Boyer, Édouard Philippe, Jean-Louis Debré, Jean-Pierre Raffarin…
Tchakaloff a le mérite de dévoiler une facette de Juppé qu’aucun journaliste « éthique » ne pourrait toucher du doigt. Ses relations avec sa famille, ses amis, ses états d’âme, ses blessures, sa personnalité. L’argument se défend : « pour connaître et dévoiler les cœurs, dénuder les âmes, il faut aller à la rencontre de ceux qu’on étudie, se lover contre eux, écouter leur souffle ». Comme s’il fallait choisir : intégrité journalistique, ou noyade dans la personnalité du prochain président potentiel. Presque un roman, c’est l’histoire d’un coup de foudre : celui de Gaël pour le clan Juppé.