Ken Bugul - "personne n'en veut" en wolof - est le nom du personnage principal de la trilogie autobiographie de Mariétou Mbaye Bileoma. Lorsque l'éditeur de ce premier tome conseille à l'autrice d'opter pour un pseudonyme - cela semblait plus sage en 1983 au vu des thèmes qu'elle aborde dans cet ouvrage - elle choisit de prendre le nom de son personnage. Son avatar transcende alors l'écrit : c'est désormais Ken Bugul qui est invitée à des rencontres, dédicaces, etc...


Dans Le Baobab fou il est question de son premier voyage en Occident - la Belgique - de la violence qu'elle y rencontre, de ses égarements et questionnements. Soit rejetée, soit fantasmée - mais toujours réifiée - Ken se trouve confronté à un corps qu'elle n'avait jamais encore conscientisé :



La façade en miroir d'une vitrine me renvoya le reflet de mon visage.
Je n'en crus pas mes yeux. Je me dis rapidement que ce visage ne
m'appartenait pas : j'avais les yeux hors de moi, la peau brillante et
noire, le visage terrifiant. J'étouffais à nouveau parce que ce
regard-là c'était mon regard.



Elle perd pied dans cet Occident des illusions où elle n'est jamais pleinement acceptée. Performant sans cesse, elle jongle entre le masque blanc et – se conformant aux attentes de ses amis blancs - le rôle de bibelot exotique avec qui on aime se montrer au restaurant. La spirale des chimères Occidentales l'entraîne de l'alcool, à la drogue, en passant par la prostitution.


L'entreprise de cet ouvrage semble thérapeutique - cet adjectif lui a souvent été accolé. Mais il ne s'agit pas seulement de coucher ses traumatismes sur le papier. Par un jeu d'analogie, elle ne cesse d'associer son présent au Ndoucoumane natal. Un Ndoucoumane où le sacré n'a pas été évincé du quotidien, où des limites existent. Un Ndoucoumane où il est possible de rêver sans tomber dans la spirale des chimères. Ce faisant elle brouille le chronotope, avec des images d'un passé et d'un ailleurs - d'un ailleurs du passé - qui hantent le présent. Par l'analogie elle “resacralise” son expérience de l'Occident et double le réel d'un substrat fictif, le rendant ainsi moins menaçant. Pour reprendre ses mots, dans ce livre : “L'imaginaire bousculé et la fiction créent facilement un espace intemporel, universel” (interview pour AfricAvenir).


Un très beau livre, intéressant pour son récit, mais surtout pour sa prose. Une poésie de l'analogie qui "fictionalise" cette autobiographie. Ou peut-être plutôt qu'à travers cette poétisation du réel Ken Bugul se montre dans sa sensibilité la plus pure. “Inventer une identité propre” (AfricAvenir), c'est ce qu'elle prescrit pour surpasser les traumatismes du colonialisme et du néocolonialisme. C'est ce processus qu'elle nous livre dans Le Baobab fou, l'invention de son identité par l'écriture.

Maï-Ldoror
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le 29 déc. 2021

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Maï-Ldoror

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Le Baobab fou
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"Inventer une identité propre"

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