Paru au Japon en 1972, le roman fut tout d’abord publié en français en 1986 sous le titre Les années de crépuscule, puis réédité en 1994. Il rejoint finalement les étagères des libraires le 18 octobre 2018, rebaptisé « Le crépuscule de Shigezo », pour l’occasion. Une chance de redécouvrir ce classique de Sawako Ariyoshi, qui mérite largement sa place parmi les chefs d’œuvre de l’auteur.


De tous temps, l’œuvre a toujours été perçue comme représentative des engagements de la « Simone de Beauvoir japonaise » : un pamphlet féministe, dans lequel « l’adoption » du vieillard vise à mettre en relief la condition de l’épouse type de l’ère Shōwa. Autrement dit, celle d’une femme réduite au rôle de servante, forcée de prendre en charge un beau-père incontinent dont son époux refuse de s’occuper, prétextant d’autres responsabilités. Bien qu’Akiko soit elle-même employée, son travail n’est pas bien sérieux aux yeux de son mari, qui continue de la voir comme une femme au foyer. Lui, à le droit au repos en tant que pilier de la famille et échappe de fait à toutes les tâches ingrates, y compris celles qui concernent ses propres parents.


Si cette thématique demeure toujours une réalité dans nombre de foyers japonais, et permet donc au livre de rester pertinent de nos jours, le renouvellement du titre apporte en revanche un nouveau niveau de lecture, beaucoup plus en adéquation avec la société nippone actuelle. En effet, tandis que les années de crépuscule pouvaient être interprétées à la fois comme la folie du vieillard, mais aussi et surtout comme la période de détresse qui affecte Akiko, le regard est désormais centré sur Shigezo. Cela permet mettre en évidence l’un des problèmes majeurs de ce pays: le vieillissement de la population. Le roman ne manquait d’ailleurs pas de se livrer à quelques prédictions à ce sujet qui se sont avérées tout à fait juste. Les « vieux » sont devenus un fardeau qui menace le bien être des familles et constituent un problème sérieux dont il faut s’échapper coûte que coûte.


On notera également de nombreuses piques envers Tokyo, mis en opposition avec les campagnes, qui incarne le tournant moderne que prit le Japon dans la période sd’après-guerre.


« Le crépuscule de Shigezo » est à mes yeux le meilleur roman de Sawako Ariyoshi. Il s’agit d’une œuvre intemporelle, d’une richesse inouïe, et aux interprétations multiples.
Le lecteur y trouve toujours autant de sens aujourd’hui qu’il y a plusieurs décennies et sa vision prophétique ne fait qu’appuyer sa pertinence. On dévore chaque page, l’une après l’autre, avec la curiosité malsaine de savoir quel malheur enfoncera encore davantage cette mère de famille, à s’emporter contre ce mari d’un égoïsme fou, à se prendre de pitié pour ce vieillard sénile. En somme, l’histoire d’une vie.

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le 5 janv. 2019

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