Le Fantôme du temple par Nébal
Ayant récemment lu et devant bientôt chroniquer les excellentes enquêtes de Maître Li et Bœuf Numéro Dix de Barry Hughart (La Magnificence des oiseaux, La Légende de la pierre et Huit Honorables Magiciens), que l'on dit se situer au croisement de la fantasy burlesque de Terry Pratchett et des fameuses enquêtes du Juge Ti, j'ai désiré lire au moins un volume de ces dernières, histoire de savoir un peu de quoi je parlais, et de mourir un peu moins bête. D'autant qu'une amie très chère ne cessait depuis longtemps de m'en vanter les mérites. Une opération commerciale passant par-là, j'ai donc jeté mon dévolu sur Le Fantôme du temple, une enquête assez tardive dans la chronologie interne du cycle ; mais peu importait : il ne s'agissait pour moi, finalement, que de comparer.
Le Juge Ti est semble-t-il à l'origine un personnage historique, ayant vécu au VIIe siècle après Jean-Claude, sous la dynastie des Tang (tiens ! comme Maître Li et Bœuf Numéro Dix...). Il se serait fait remarquer de son vivant pour son extraordinaire capacité de déduction, ce qui expliquerait la survivance du personnage dans les annales chinoises. Au XVIIIe siècle, il fut ainsi le héros d'un roman policier, Trois Affaires criminelles résolues par le Juge Ti.
C'est alors qu'intervient Robert Van Gulik. Un personnage assez fascinant : érudit et polyglotte (néerlandais, anglais, japonais, malais, javanais, latin, grec, chinois et russe...), il devient diplomate, et c'est au cours de ses pérégrinations qu'il « redécouvre » et traduit le roman susdit. Mais, mieux encore, il décide d'écrire d'autres aventures du Juge Ti – dix-sept volumes, plus précisément. Il sera plus tard suivi dans cette voie par d'autres auteurs.
Mais concentrons-nous donc sur Le Fantôme du temple. Cette enquête a lieu entre 670 et 676, alors que le Juge Ti (630-700) est nommé à Lan-fang, non loin de la Mongolie. Une terre rude et barbare, loin de tout, qui tient presque de l'exil... Là, alors que le magistrat se prépare à célébrer l'anniversaire de sa Première Épouse, trois affaires lui tombent sur le dos. Enfin, pas tout à fait : la première est ancienne, car le magistrat raffole des affaires non résolues ; il s'agit en l'occurrence du vol d'une importante quantité d'or auprès du trésorier impérial, avant son entrée en fonction. Mais, ensuite, le Juge Ti découvre dans le cadeau d'anniversaire qu'il avait prévu d'offrir à sa femme un curieux appel à l'aide écrit avec du sang et signé du nom de Jade. Enfin, on découvre dans le Temple des Nuages Pourpres, abandonné, qui jouxte la ville, un cadavre décapité et une tête coupée... dont le juge comprend bien vite qu'ils n'ont rien à faire ensemble.
Trois affaires qui n'ont rien à voir entre elles, évidemment ? Bien sûr que non ! La sagacité du Juge Ti sera mise à rude épreuve, mais il s'agira bien pour lui de tisser une complexe toile entre ces différents événements ; car c'est de là que surgira la vérité. Il se met donc au travail, assisté de ses fidèles Hong Liang et Ma Jong. Mais il lui faudra manœuvrer avec astuce, entre les superstitions locales et les notabilités susceptibles d'être froissées...
À vue de nez, c'est plutôt alléchant, non ? Et, oh, je ne prétendrai pas le contraire, je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce Fantôme du temple : il y a un rythme indéniable, l'enquête est bien menée, un petit peu d'humour de temps à autre (notamment dans les titres des chapitres, délicieux), ça ne fait de mal à personne, et, jusqu'au final très « Agatha Christie » – hop, confrontez-moi tous ces suspects ! –, on passe plutôt un bon moment.
Pourtant, je ne peux qu'avouer ma déception à la lecture de ce volume des enquêtes du Juge Ti. Je ne sais pas si cela tient à ce volume en particulier, ou à moi, mais voilà : ça n'a pas pris. Objectivement, tout d'abord, il faut quand même dire ce qui est : c'est écrit et/ou traduit avec les pieds. J'ai lu ici ou là que les enquêtes du Juge Ti avaient une certaine « qualité littéraire », ce n'est certainement pas avec ce volume que je vais le croire.
Déception relative, du coup, par rapport aux enquêtes de Maître Li et Bœuf Numéro Dix, qui sont elles très bien écrites et traduites. Et, pour continuer sur ce terrain du « relatif », j'ai bien davantage trouvé mon bonheur dans les écrits délirants, hilarants et superbement inventifs de Barry Hughart que dans le plat réalisme, à peine teinté d'une légère touche de fantasmagorie, de Robert Van Gulik. Sur le ring, Maître Li et Bœuf Numéro Dix l'emportent donc par K.O. sur le Juge Ti.
Alors peut-être me faudrait-il lire d'autres volumes des enquêtes du Juge Ti pour adhérer finalement à la secte ? Peut-être celui-ci était-il un peu faiblard ? Peut-être mes bêtes préjugés contre le policier ont-ils joué ? Je n'exclue rien. Mais, a priori, ça ne m'a pas vraiment donné envie de poursuivre dans la découverte de cette œuvre. Tant pis...