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Le texte :
« Plus tard, en nettoyant la vitre sur le parking de l’entrepôt, j’ai pensé qu’on était des hommes. Il y avait dans cette évidence comme l’ombre d’un très grand malheur. »
L’itinéraire de ce jeune homme de presque vingt-et-un ans est le récit d’un effacement, d’un renoncement, d’un reniement. Le personnage principal de ce roman, « Le Français », également surnom donné au jeune homme par ses compagnons de guerre, est un jeune homme d’une banalité crasse : petite vie miséreuse, mais vie quand même, dans une banlieue d’Evreux, entouré de sa mère, accidenté de la route, de son beau-père qui le frappe sans que personne, y compris le cogneur, ne sache vraiment pourquoi, de ses collègues de travail qui consiste à faire commis-livreur.
Cette vie aussi misérable et glauque soit-elle va tout lui prendre : méthodiquement elle va le priver de toutes ses attaches familiales (le jour ou son beau-père frappe une fois de trop, une fois trop fort), sentimentales (le jour où il croise Stéphanie dont il est amoureux dans les bras d’un autre) et sociales (le jour où il est pratiquement contraint de fuir).
Sa fuite, il l’organise à Bamako. Grâce à Ali, un de ses anciens collègues, et Mirko, un trafiquant venu d’Europe de l’Est, il quittera sa misère française pour une autre misère. Sauf qu’à Bamako, on va lui tendre la main et à travers la détresse qu’il porte en lui, celui qui deviendra « Le Français » se voit offrir une lueur d’espoir dont il ne peut pas pressentir qu’elle toute relative et basée sur le mensonge. Alors il s’engouffre dans la brèche de l’islam et de la taqiya, l’art de la duperie et de la dissimulation… Le seul hic c’est qu’il ne fait finalement que se duper lui-même jusqu’à commettre l’impensable, malgré la tentative de manipulation des services secrets français, et décapiter à visage découvert des otages occidentaux aux mains des terroristes.
Le jeune garçon n’est pas la victime d’une radicalisation opérée en France avant qu’il ne parte sur les traces du terrorisme. Il est l’aboutissement d’un processus lent et pernicieux. La force du processus qui s’opère insidieusement chez « Le Français » est de proposer une alternative au néant. D’ailleurs le personnage central ne demande que cela : exister, être quelqu’un, rester un homme… Il n’en aura finalement que l’illusion, marionnette dans les mains de ses manipulateurs, qu’ils soient terroristes ou agents français fréquentant un Radisson qui fonctionne comme une vitrine de ce que haïssent les terroristes (femmes, sexe, extravagance, colonialisme et tant d’autres choses) quand bien même leurs comportements ne seraient pas si différents.
C'est d'ailleurs toute l'ambiguïté et la dichotomie entre le discours et les actes. Les terroristes décrédibilisent ainsi ce qu'ils considèrent comme un acte de foi et qui n'est rien d'autre qu'un mensonge et une tromperie de plus.
A la lumière de ce qui se passe dans le monde depuis quelques semaines, ce livre n’est ni une excuse, ni une explication. Il a quelque chose de prémonitoire (il est sorti fin août 2015). Il est une lumière projetée sur un drame humain auquel notre société n’apporte aucune réponse, un mal profondément encré que le fossé entre les malades (potentiellement la jeunesse dans son ensemble car elle partage de manière aveugle le sentiment de rejet) et les médecins (notre classe politique qui n’a jamais aussi peu maîtrisé la situation). Et personnellement, je ne vois pas comment nous pouvons nous en sortir…
Le très bel article de Samuel Dock :
http://www.huffingtonpost.fr/samuel-dock/la-naissance-des-monstres-djihad-francais_b_8240032.html
Une interview de l’auteur :
http://www.parismatch.com/Culture/Livres/Le-vide-de-notre-sous-culture-nous-revient-en-pleine-gueule-Julien-Suaudeau-870719