« Le gardien de nos frères »… un roman au titre qui interroge, qui donne envie de lire !
Simon Mandel, aujourd’hui brillant architecte vivant à New-York, avec une vue imprenable sur Central Park, ne peut oublier son enfance. En 1945, la guerre lui aura tout pris, ses parents, son frère aîné, Lucien, combattant de la première heure, sa sœur Madeleine, une icône de la Résistance et son petit frère Elie, disparu alors que lui-même, Simon, était entré en résistance, avait été blessé, soigné mais n’avait plus goût à rien, ou si peu. Enrôlé par les scouts Israélite de France (en quelque sorte, une BA de leur part, bonne action, pour le sortir de son apathie), il devient dépisteur, chargé avec Léna, une survivante du ghetto de Varsovie, de retrouver la trace des enfants juifs cachés durant la guerre et dont les parents, le plus souvent, ne sont jamais revenus.
Tout comme lui, juif français rejeté par la France, Léna, juive, ne peut plus trouver sa place dans sa Pologne natale. Ces deux êtres privés de patrie parce que juifs, brisés, cabossés par la vie vont se lancer, corps et âmes dans ce combat de justice, rendre les enfants juifs à Israël ! Charriés par l’Histoire, nourris et déchirés par l’amour, ces deux révoltés vont apprendre à communiquer entre eux, à se découvrir, à se serrer les coudes et à tout donner pour retrouver Elie, et tous les autres enfants, tous frères, pour lesquels il faut se construire, homme, adulte, gardien, protecteur et sauveur. Une lourde tâche portée par tant de trop jeunes adultes en cette période de fin de guerre 40-45. Pourquoi en parle-t-on si peu ? Rien que pour ces faits ‘historiques’, le livre vaut la peine d’être lu.
Mais, ce livre est aussi un lieu de rencontres, de confrontations qui demandent des prises de positions, des choix justifiés… et s’il n’est pas toujours possible d’exiger, dans le feu de l’action, que l’auteur de chaque acte prenne le temps de réfléchir et de construire une argumentation solide des réponses qu’il apporte, le lecteur, de nos jours, ne peut honnêtement faire l’impasse sur la réflexion quant aux actes posés.
La photographe, Laurence Verrier, à qui on doit la couverture de cette réédition chez France Loisirs du livre paru chez BELFOND en 2015, disait de son rapport à l’art qu’elle domine : Ce qui m’intéresse avant l’image, c’est le processus photographique, ce qui est en œuvre chez la personne photographiée comme chez le photographe. Rencontre entre le photographe et le photographié, rencontre du sujet avec lui-même, rencontre du photographe avec lui-même. Il faut ces trois rencontres pour que la magie opère. (Extrait du site ‘les seize anges’, association d’artistes dont elle est membre).
Ariane BOIS, grand reporter, critique littéraire et auteure de quatre romans primés par des prix internationaux, se trouve, elle aussi, à la croisée des rencontres. Celles de ses personnages avec eux-mêmes, leurs passés, les stigmates qu’ils en portent, les relectures qu’ils peuvent en faire. La rencontre entre l’auteure et une période, la fin et l’après seconde guerre mondiale dont on a tant parlé, sur laquelle on a déjà tant écrit pour cependant très peu aborder le sujet qui est au centre de ce roman, à savoir, la recherche et le ‘reclassement’ social des enfants juifs cachés durant cette période. Très documentée, Ariane BOIS, avec une écriture souple, tendre, précise nous situe l’époque, les actions, les doutes et les certitudes de ses personnages.
C’est donc, à travers les réflexions que l’auteure prête à ses personnages, qu’il y a des rencontres dans lesquelles le lecteur est invité à se positionner. Rencontre entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, la condamnation ou le pardon, la réponse appropriée ou non aux réalités de ces vies d’enfants déchirées, en partie reconstruites, parfois sauvées ou perdues à tout jamais.
Car peut-on, au nom de la justice, tout se permettre, même l’illégal, l’enlèvement d’enfants ? A-t-on raison d’arracher des enfants à des secondes vies, même factices, pour les réintroduire dans des pensionnats, des homes, des lieux parfois dénudés de vie familiale même quand on veut y mettre une chaleur humaine ? Peut-on défendre les illusions sionistes qui veulent expatrier des enfants afin de conquérir une terre que les juifs estiment sainte et dont ils revendiquent la propriété ? Et que penser de la position de certains membres influents de l’Eglise catholique qui n’ont pas suivi leurs prélats dans la lutte contre le nazisme ? Que penser des ‘petites gens’ qui ont monnayé le retrait des enfants parfois d’autant plus lourdement qu’ils les avaient exploités, voire violés durant la période où ils étaient censés les cacher et les protéger ?
Le gardien de nos frères, un roman qui nous interroge sur l’humanité des hommes, sur les questions que l’Histoire pose et sur les réponses que nous soutenons ou non. A lire, sans aucun doute !