Nous ne somme pas Homo Sapiens mais Pan Narrans, le Singe Conteur !

Lire un ouvrage de La Science du Disque-Monde est une expérience grisante. C'est la rencontre de l'univers et de la plume de (feu) Terry Pratchett avec des concepts et notions scientifiques pointus et vulgarisés par le mathématicien Ian Stewart et son compère biologiste Jack Cohen. C'est donc une occasion unique d'allier divertissement et réflexion poussée. Car oui, à l'instar du premier opus de cette saga dérivée des Annales du Disque-Monde, ce livre a de grandes chances de vous retourner le cerveau.


Pas nécessairement parce qu'il est difficile à appréhender mais bel et bien parce qu'il va vous inviter à cogiter sur l'univers, le monde et l'Homme. Alors que le premier livre était orienté métaphysique, celui-ci se concentre essentiellement sur la philosophie, les religions, la culture et, d'une manière générale, les sciences humaines. C'est une véritable plongée dans l'édification de nos sociétés qui s'appuie sur des fondements scientifiques et physiques aussi velus que l'espace des phases, les différents principes de la thermodynamique ou encore l'entropie.


Mais n'ayez crainte, Sir Terry Pratchett a à nouveau parfaitement chapeauté l'ouvrage et si on retrouve en alternance un chapitre sur deux dédié aux tribulations des Mages de l'Université de l'Invisible en visite sur le Globe-Monde (notre monde, la Terre) avec le style si caractéristique des Annales, les chapitres scientifiques ne sont pas en reste au niveau du style et vous décrocheront, à n'en pas douter, de francs sourires voire éclats de rire.


Oui, c’est bien écrit et c’est accessible à tout le monde. Du moins, à tous ceux qui feront l’effort de se concentrer sur ce qu’ils sont entrain de lire. Comme je le faisais remarquer dans ma bafouille du premier tome de la Science du Disque-Monde, ce genre d’ouvrage nécessite un minimum d’investissement pour qu’on en extraire sa quintessence ; c’est-à-dire le savoir latent qui ne demande qu’à être broyé et assimilé sous forme d’information. D’ailleurs l’information est l’une des très, très, très nombreuses thématiques brassées dans le livre.


A titre d’exemple, l’information est traitée sous différents prismes ; celui du contexte, du sens, de l’entropie, d’émergence dynamique, mais également comme vecteur du génome ou tout simplement sous l’angle sociétal à travers la société de l’information. D’autres exemples de sujets ? L’obscure origine du carbone liée à la pratique de l’alchimie qui, lors de la quête de la pierre philosophe devant changer le plomb en or, mena aux prémices de chimiothérapie. Si cette investigation ne vous intéresse pas vous pouvez éventuellement trouver votre bonheur dans l’analogie portant sur la courbure de l’univers avec le 2e principe de la thermodynamique appliqué à un œuf...


Trop métaphysique ? Qu’à cela ne tienne ! Ce livre traite également de l’art et notamment du concept d’infinité lié à la musique, de l’apprentissage du langage chez des nourrissons de pays différents, mais également de l’origine des Memes (vous savez, Niang Cat & cie) qui trouve leur fondement dans la religion, des voyages dans le temps, des paradoxes comme celui que soulève la possibilité qu’on revienne dans le passé pour assassiner de nos mains notre grand-père, des boucles temporelles, des univers parallèles ou encore des uchronies comme celle du Maître du Haut Château de Phillip K. Dick.


Je pourrais encore facilement citer une cinquantaine de sujets abordés dans le livre et bénéficiant d’un focus détaillé et documenté de sources pour approfondir ses recherches sur un sujet qui nous intéresse/interpelle mais je vais me contenter d’expliciter sommairement le titre de ma critique. Pourquoi le Singe Conteur ? Tout simplement parce que LE thème central du livre c’est la narration. Les chapitres dédiés au Disque-Monde montre la dichotomie existant avec notre Globe-Monde ; eux ont la magie et le Narrativium (où les choses qui ont une probabilité d’une sur un million de survenir arrivent neuf fois sur dix) et nous, nous avons les histoires.


Nous vivons d’histoires. Depuis l’aube des temps. Des premiers hommes qui barbouillaient les murs de leur grotte pour transmettre des messages et du savoir aux histoires pour enfants comme Winnie l’Ourson coincé dans le terrier de Coco Lapin parce qu’il s’est empiffré de miel et a délaissé l’exercice physique en passant par les religions qui permettent aux croyants de donner une réponse à une question existentielle ou encore aux Romains qui prêtaient des pouvoirs une origine divine à la Lune et qui ont fait naître le désir d’un jour aller la visiter. Si sur le Disque tout arrive par magie et est conditionné par le besoin narratif rendant lecture dynamique, sur le Globe nous vivons d’histoires pour avancer. Pour écrire notre futur.


Voici un extrait d’un des derniers chapitres du livre. J’aime beaucoup ce passage car il aborde non seulement le concept d’histoires tout en étant assez représentatif du style de l’ouvrage qui allie concepts et références aux Annales :


Nous sommes le singe conteur et nous faisons cela très bien.
Dès que nous avons l'âge de vouloir comprendre ce qui se passe autour de nous, nous commençons à vivre dans un monde d'histoires. Notre mode de pensée est narratif. C'est tellement machinal que nous n'avons pas besoin d'y réfléchir. Nous nous sommes raconté des histoires assez vastes pour y mener notre existence.
Dans le ciel au-dessus de nous, des motifs plus vieux que notre planète et situés à des distances inimaginables sont devenus des dieux et des monstres. Mais, ici-bas, il y a de plus grandes histoires encore. Nous vivons dans un réseau de récits qui va de « comment nous en sommes arrivés là » aux « droits naturels » en passant par la « vie réelle »
Ah, oui... la vie réelle. La Mort, qui agit comme un chœur grec dans les romans du Disque-monde, est impressionné par certains traits humains. L'un d'eux étant que nous avons évolué pour nous raconter de petits mensonges intéressants et utiles sur les monstres, les dieux et les fées des dents en une sorte de prélude à la création d'autres mensonges bien plus gros comme la « vérité » ou la « justice ».
La justice n'existe pas. Comme la Mort le remarque dans Le Père Porcher, on pourrait broyer l'univers en poudre qu'on n’y trouverait pas un atome de justice. Nous reconnaissons l’avoir créée ; pourtant, nous avons l’impression qu’elle existe, là ; quelque part immense, blanche, éclatante. Encore une fiction.
[…]


Bon bah voilà, j’arrive à la fin de ma bafouille. Je me rends compte que je suis parti un peu dans tous les sens mais il y a tellement de choses à dire de cet ouvrage que je ne savais pas par quel bout le prendre ! Comme dans ma critique du premier tome de la Science du Disque-Monde je précise tout de même que les parties dédiées au Disque ne sont pas représentatives de la qualité des Annales de Terry Pratchett. Elles peuvent absolument être lues et appréciées par des profanes mais elles n’ont ni la saveur ni la profondeur d’un véritable récit se déroulant sur le Disque porté par quatre éléphants tenant en équilibre sur A’Tuin, la grande Tortue Stellaire.


Enfin, pour conclure (oui, oui, promis j’arrête après), je me dois tout de même de préciser une dernière chose à propos du Singe Conteur de mon titre. Quand les auteurs écrivent que nous ne sommes pas Homo Sapiens, ce n’est pas tout à fait vrai. Nous sommes bel et bien Pan Narrans mais nous pouvons devenir Homo Sapiens, à une condition. Cette condition, elle est expliquée dans le livre en guise de conclusion et elle corrobore le message qui nous a été adressé durant 500 pages.


Personnellement j’ai terminé ma lecture avec un grand sourire aux lèvres.
Le sourire satisfait d’avoir lu quelque chose de grand. D’utile. Car oui, je le pense, ce livre est d’utilité publique. Et j’espère sincèrement que ce billet vous aura donné envie de le lire. Oook !

MarlBourreau
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Lectures 2015 - L'année où Sir Terry Pratchett a tiré sa révérence.

Créée

le 13 sept. 2015

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