Il ne suffit pas de recueillir une vaste galerie de tableaux et d'artistes, classés sous titres globalement géographiques pour donner l'intelligence d'une époque de l'art. Encore faut-il en produire un commentaire digne de ce nom. La première édition de ce volume - qui en connut au moins quatre - reste en deçà de mes attentes.
C'est à se demander si Gibson aime réellement son sujet et les peintres sur qui il écrit. On le sent plus proche dans critiques sociaux ou des ironistes à la Félicien Rops que d'un Péladan. Toujours à deux doigts de dévaloriser son sujet, qui pourtant le fascine et le rend ici ou là plus franchement admiratif, on devine sous sa plume bien des américanisme et des psychanalytismes obligés, dont le régime plus ou moins sous-entendu est celui de l'efficacité sociale ou de la production surréaliste consciente de ses terrains d'expérimentation dans l'inconscient. Je reste donc sur ma faim quant à ce qui s'est réellement joué dans cette page de l'art, ici résumée vite à un réactionnarisme catholique à l'intrusion des valeurs du progrès dans la sphère des valeurs.
Les biographies d'auteurs s'enchaînent sans qu'on comprenne vraiment ce qui en motive ni le catalogue - sinon la célébrité -, ni la succession. Des liens entre le romantisme, puis le surréalisme ou l'expressionnisme sont trop vite esquissées. Certes l'auteur connaît son domaine. Mais sa connaissance est fouillie et subtilement condescendante, ou comme fascinée par ce qu'il juge manifestement comme excès ou dérèglements de sensibilités exacerbées. On peut croise qu'il prend au pied de la lettre historique les pages fameuses où Huysmans évoque les deux Salomé de Gustave Moreau, pour un des Esseintes dont le dandysme sera ici brièvement taxé d'hystérique - ou plus exactement dont le dandysme de son modèle, de Montesquiou, se voit qualifié tel.
Le recours fréquent à la psychanalyse comme méthode herméneutique est désormais trop daté, sans compter qu'il n'apporte _strictement_ rien qu'une traduction analogique dans un langage supposé savoir - et dont on sait qu'il ne sait rien, ou rien d'autre que l'intelligence de la cure dans le décours de la production des associations libres : mais qui doit être soigné ? C'est champs de symboles contre ordonnancement des productions symobliques : cela ne peut avoir de sens que si le second est langage dans lequel se mouvoir est possible - or il _faut aujourd'hui réinventer les mots et les formes de la psychanalyse, sauf à en faire une religion dont les nouveaux clerc sont, une fois encore à abattre : il y va ici comme en religion, le clergé enrôle la sainteté, la lénifie et s'empare de son discours pour, par intimidation symbolique et langagière, s'arroger seul le droit du sens. La psychanalyse, sauf à se renouveler et rester vive dans son vocabulaire et ses formes, ne peut nous servir à _rien_ pour comprendre l'art - d'autant qu'ici comprendre ne serait pas expliquer, mais ensemencer de sens nouveaux.
Bref, quoi qu'il en soit de cette notule adventice, encore un de ces ouvrages où l'on en apprend trop sur l'auteur - et où, à bien connaître son sujet, il n'en manifeste pas l'intelligence. Les causalités invoqués apportent un éclairage dont on peut certes tenir compte, mais ne sauraient à elles seules donner à entendre ce qui se joue dans ces œuvres complexes, souvent aussi maniérées qu'inventives ; dont le charme tantôt mystérieux tantôt sanieux pave le chemin du surréalisme ; et dont les audaces picturales, chose bien perçue par Gibson, sont ici et là des portes ouvertes sur l'abstraction.
Au fond, n'étaient la qualité des reproduction - au regard du prix payé - on s'ennuierait ferme. Dommage.