Après ma diatribe sur la difficulté aberrante de la Sorcière des Neiges, vous pourriez me taxer d'hypocrisie en voyant ce 7/10 pour un bouquin qui ne contient pas un, mais deux combats obligatoires contre des adversaires à 12 points d'Habileté (soit le maximum possible pour le héros). Je vous répondrai que tout est affaire de contexte. Dans le premier cas, c'est une épreuve qui tombe littéralement du ciel, l'ennemi en question ne joue aucun rôle scénaristique et n'est plus jamais mentionné par la suite. C'est aussi absurde que de tomber nez à nez avec le boss de fin sur la carte du monde d'un vieux Final Fantasy. En revanche, dans le Talisman de la Mort, les adversaires en question ont une raison d'être là où ils se trouvent, ils ont une raison de nous attaquer, et ils ont une raison d'être aussi puissants. Ça ne rend pas le livre plus facile (en fait, il doit être impossible à finir avec une Habileté minimale, même avec le système de points de sauvegarde mis en place par les auteurs), mais en tout cas, il n'est pas arbitrairement difficile, et comme je l'ai déjà dit dans une autre critique, c'est bien l'arbitrarité qui m'agace le plus dans les livres-jeux.
Il faut dire que le Talisman de la Mort part d'entrée de jeu avec un sérieux avantage sur les tomes précédents de la série : l'univers d'Orbus n'est pas une création ad hoc, c'est le monde dans lequel Mark Smith faisait évoluer les personnages de ses copains d'école (parmi lesquels son coauteur Jamie Thomson) lorsqu'il jouait les MJ à Donjons & Dragons. Rien à voir donc avec les timides efforts créatifs esquissés jusqu'alors par Jackson et Livingstone : plonger dans ce bouquin, c'est découvrir des paysages vibrants de vie, avec une géographie solide, une faune et une flore bien établies et des factions (notamment religieuses) omniprésentes. Toutes ces choses finiront par apparaître sur Titan également, mais cela prendra encore quelques livres supplémentaires.
Au milieu de tout ça, le héros est un simple Terrien appelé sur Orbus par une paire de dieux incapables de s'occuper eux-mêmes du Talisman de la Mort, un objet néfaste qui pourrait signer la fin de toute vie s'il tombait entre de mauvaises mains. Il va donc s'agir d'échapper aux laquais de la Mort, bien décidés à récupérer la précieuse amulette pour la rapporter à leur maître, et si vous lisez ce pitch en regardant le bel ersatz de Nazgûl qui orne la couverture, vous seriez tout excusé de penser très fort à une énième resucée du Seigneur des Anneaux. En réalité, ce livre n'a que peu à voir avec l'œuvre de Tolkien en dehors de son idée de base et de quelques passages vers la fin où le Talisman se la joue un peu Anneau Unique sur les pentes de la Montagne du Destin. Avant cela, la majeure partie de l'aventure se déroule dans la ville de Griseguilde, où vous fraierez avec des voleurs, des étudiants, des prêtres, des mercenaires, des érudits et toute une foule bigarrée qui n'a que peu à voir avec les personnages du vieux professeur d'Oxford. C'est vraiment le premier livre de la série à offrir des PNJ mémorables, qu'il s'agisse de l'ineffable trio Tyutchev-Cassandra-Thaum, de la terrible prêtresse Fauconna ou des roublards du Dragon Rouge. Il suffit parfois à Smith et Thomson d'une ligne ou deux pour insuffler de la vie même aux seconds couteaux qu'on ne croise que l'espace d'un paragraphe ou deux. C'est durant cette séquence que leur écriture brille au plus fort : lorsqu'il s'agit d'errer dans la nature, que ce soit avant ou après Griseguilde, on retombe plus ou moins au niveau habituel des Défis Fantastiques, même si les péripéties restent moins aléatoires que chez le premier Livingstone venu. Bob Harvey fait du bon boulot aux illustrations ; il me laisse toujours un peu réservé, je ne sais pas pourquoi exactement, mais je serai le premier à dire qu'il dessine admirablement les personnages féminins (ah, Cassandra… ♥).
Le livre bénéficie également d'une belle non-linéarité : plusieurs chemins permettent d'accéder à la victoire, certains moins évidents que d'autres. On pourrait le trouver trop facile, tant il suffit généralement de faire preuve d'un peu de bon sens pour éviter les ennuis, mais cela garantit le plaisir de la découverte lors de relectures ultérieures, en mode « tiens, qu'est-ce qu'il va se passer si je me jette sur ce PNJ clairement gentil avec l'épée tirée ? » ou « tiens, et si j'essayais de jouer au plus malin avec Tyutchev ? ». C'est toujours un bon point pour moi. Restent, dans la colonne des points faibles, ces combats difficiles dont je parlais au début, qui détonnent d'autant plus que les autres adversaires sont beaucoup plus négociables… Mais cela reste un point noir dans une tapisserie aux couleurs riches et miroitantes. Smith et Thomson se sont visiblement donnés à fond pour leur première incursion dans le domaine des livres-jeux, et le résultat est d'assez loin le meilleur des Défis Fantastiques parus jusqu'ici. S'ils n'ont plus contribué à la gamme par la suite, ils nous ont permis de poursuivre l'exploration de l'univers d'Orbus dans leur propre série, la Voie du Tigre, toujours avec Bob Harvey aux crayons.