J'avais commencé ce livre en m'attendant à un récit d'aventure. Les premières pages entretiennent cette illusion, avec la première rencontre en solitaire du jeune Chen Zhen avec une meute de loups. En réalité, ce roman ne développe pas d'intrigue à proprement parler. Il n'en reste pas moins très intéressant à divers points de vue.


Ce roman est largement inspiré par la vie de son auteur. A la fin des années 60, de nombreux étudiants chinois sont envoyés dans diverses régions du pays en tant que main-d'oeuvre, mais aussi dans le but d'oeuvrer à la révolution culturelle communiste auprès des peuplades plus traditionnelles. Jiang Rong a fait partie de ces "gardes rouges", mais on constate dans ce roman que l'influence culturelle a plutôt eu lieu dans l'autre sens : il s'est laissé séduire par le mode de vie rude et digne d'admiration des pasteurs de la steppe mongole.


C'est ce qui est décrit dans ces pages, avec une précision et une exhaustivité quasi anthropologiques, tout en laissant la place à des scènes non dénuées d'émotions. La steppe d'Olon Bulag est certainement le personnage principal de ce roman. A la fois sublime, complexe, fourmillante de vie dans un équilibre dynamique évoluant au fil des saisons mais aussi immensément fragile, elle sera confrontée aux ennemis que sont pour elle la pression démographique, alliée au progrès technique. On peut donc bien parler de plaidoyer écologique.


Mais l'auteur ne se limite pas à cet aspect. Comme le titre l'indique, le loup est mis à l'honneur au fil des pages. Il est en quelque sorte le meilleur ennemi du pasteur. Dans son rôle de régulateur de la faune et donc de protecteur des pelouses steppiques, il est respecté autant que combattu pour ses méfaits sur les troupeaux. Par les combats qu'il entraîne, par les ruses qu'il faut bien déjouer, il oblige la population nomade à redoubler d'ingénuosité, de force et d'endurance pour survivre.


Ajoutons encore que Chen Zhen/Jiang Rong voit dans l'ardeur au combat et l'intelligence du loup des qualités à cultiver à un niveau politique, se remémorant les hauts faits de ce que nous appellons les invasions barbares, venues des steppes mongoles. La condamnation de la culture Han -actuellement largement majoritaire dans le pays - lors de l'envahissement de la Chine par les troupes japonaises lors de la dernière guerre mondiale est politiquement osée.


Au final, c'est un roman qui laissera des traces dans mon esprit, comme certainement dans celui des millions de Chinois qui se sont procurés le livre, au nez et à la barbe d'une censure étrangement muette.


N.B. Si la situation décrite dans ce roman date de plusieurs dizaines d'années, on en retrouve une suite dans l'actualité : des mouvements de révolte ont eu lieu plus récemment en Mongolie-Intérieure au sujet des extractions minières sur des territoires prétendument protégés, et de la pression forte sur la culture traditionnelle pastorale.

LaFilleEnRose
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le 12 nov. 2014

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