Le Gang de la Clef à Molette (« The Monkey Wrench Gang » en version originale, laquelle est assez difficile à lire quand on n'est pas au moins quasi-bilingue) est un de ces livres dont le caractère subversif attise votre curiosité. Il s'agit du roman le plus célèbre d'Edward Abbey, dont la bibliographie se divise en deux catégories : les œuvres fictionnelles (Fire on the Mountain, Haydukes Lives!) et les essais (Desert Solitaire: A Season in the Wilderness, Down the River en collaboration avec Henry David Thoreau).

Le livre décrit la rencontre de quatre hurluberlus dont un point commun (pas sûr qu'ils en aient vraiment...) pourrait être l'amour de la nature, ou plus précisément la haine de ceux qui la maltraitent à coup de routes goudronnées et de barrages géants, les responsables de cette « agression permanente. »

On fait donc chronologiquement la connaissance de :
- A.K. Sarvis, M.D. (aussi appelé « Doc »), un étrange chirurgien, fortuné, et dont le passe-temps favori consiste à brûler les panneaux publicitaires bordant les autoroutes. Il s'adonne ainsi à ce qu'il nomme une « opération routinière d'assainissement du paysage. »
- George Washington Hayduke, un « ex-béret vert, » un vétéran des Forces spéciales du Vietnam. Une vraie montagne de muscle, particulièrement efficace dès qu'il s'agit de faire sauter n'importe quelle structure en béton armé ou en acier.
- Seldom Seen Smith, un Jack Mormon ("Un Jack Mormon est à un mormon ordinaire ce qu'un lièvre est au simple lapin") qui fut affublé de ce surnom (« Rarement Vu ») à cause de sa polygamie notoire. Il est également guide en rivière à ses heures perdues.
- Bonnie Abbzug, la jeune et pulpeuse assistante de Doc Sarvis, qui le seconde aussi bien dans son métier de chirurgien que dans leurs escapades nocturnes.

Les compères, réunis par hasard lors d'une balade en rivière, vont partir à l'assaut de chantiers, ponts, barrages, armés de clefs à molettes, entre autres. La description des scènes de sabotage sont à se tordre de rire, n'arrivant jamais à tomber tous les quatre d'accord sur le moyen le plus destructeur mais le plus discret (en somme, le plus sournoisement possible) de torpiller un chantier quelconque. S'ils s'accordent sur la nécessité de poster des guetteurs maîtrisant le cri du hibou et d'arracher les jalons topométriques ("C'est le putain de commandement de base du saboteur" dixit Hayduke), ils ne parviennent pas à accorder leurs violons sur le mode opératoire pour les pelles mécaniques. Cela donne lieu à des échanges insolites du genre :

« Quoi d'autre ? Abbzug, Smith et Hayduke reculèrent un peu et contemplèrent la paisible carcasse de l'engin. Ils étaient tous impressionnés par ce qu'ils avaient perpétré. Le meurtre d'une machine. Un déicide. L'énormité de leur crime, de leur sacrilège, les terrorisait presque. George lui-même semblait pétrifié.
- Lacérons les sièges, lança Bonnie.
- Ce serait du vandalisme, répliqua Doc. Et je suis contre le vandalisme. Lacérer les sièges serait petit-bourgeois. »

Ou encore :

« - Sais-tu ce qui serait drôle ? demanda-t-il à Smith qui, en bas, découpait les circuits hydrauliques à coup de hache.
- C'est quoi, Georges ?
- Démarrer ce putain d'engin, l'emmener en haut de la falaise et le laisser tomber.
- Ça nous prendrait au moins la moitié de la nuit.
- On s'amuserait bien.
- De toute façon, on ne peut pas le mettre en marche.
- Pourquoi ?
- Il n'y a plus de rotor dans la magnéto. J'ai regardé. Ils l'enlèvent en général lorsqu'ils laissent ces monstres sur la route.
- Ah !
Hayduke pris son carnet et son crayon dans la poche de sa chemise, alluma sa lampe et nota : rotor.
- Tu sais ce qui serait drôle aussi ?
- Quoi ? dit Smith occupé à détruire les connexions entre les têtes de cylindres et les injecteurs.
- Nous pourrions enlever les goupilles de chaque roue. Quand ce machin démarrera, il sortirait de ses putains de chenilles. Ça les ferait pisser de rire. »

Faisant preuve d'une remarquable inventivité en la matière, Hayduke opte pour une poignée de sable dans le carter d'une autre machine et troue le filtre à huile. Smith, quant à lui, préfère verser dans le réservoir quatre bouteilles d'un épais sirop d'érable afin de condamner cylindres et pistons.

Le Gang de la Clef à Molette est à l'origine de l'activisme écologique, mais pas de l'écologie au sens large, bien entendu : sur le sujet, se référer à Élisée Reclus (La Terre, Histoire d'un Ruisseau, Histoire d'une Montagne, L'Anarchie, L'Homme et la Terre) et Henry David Thoreau (La Désobéissance Civile, Walden ou la Vie dans les Bois, Les Forêts du Maine) pour ne citer qu'eux. Il donna même son nom (« monkeywrench ») à toute opération de sabotage hors-la-loi visant à préserver la nature ou un quelconque écosystème menacé. Mais décrire Edward Abbey simplement comme un écologiste ou un anarchiste serait bien trop restrictif, tant l’œuvre du personnage est immense et variée. Et il nous emmerde tous, tel un misanthrope solitaire (et drôle) : "S'il y a quelqu’un toujours ici présent et que je n'aie pas encore insulté, je lui présente mes excuses."

"Croire en Dieu ? En une vie après la mort ? Je crois en ce rocher qui est sous mes pieds."
Edward Abbey est enterré quelque part dans un désert de l'Arizona, dans un sac de couchage, là où personne ne pourra le trouver.

La critique dans son format original : http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Le-Gang-de-la-Clef-a-Molette
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le 4 févr. 2013

Modifiée

le 7 nov. 2014

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