Cynique, brutal et réjouissant

J'ai acheté Le prince écorché sans grande conviction, conseillée par le vendeur de ma librairie préférée. La couverture pas très belle évoquait trop pour moi un roman pour ado, tendance produit dérivé d'un jeu vidéo à la Assassin Creed. Le synopsis ne respirait pas non plus l'originalité : un prince en quête de vengeance dans un empire en proie à la guerre civile ça sentait le déjà vu. Il y avait bien les commentaires enthousiastes de Robin Hobb et de Peter V. Brett au dos, mais quand on connait un peu les stratégies éditoriales, on ne peut pas trop se fier à ce genre de recommandations.

Bref, c'est avec un état d'esprit un peu réticent que j'ai ouvert le livre dans le tram du retour et commencé à lire les premières pages. Et là, la claque ! Moi qui venait de terminer l'interminable Voie des Rois tome 1, j'ai tout de suite senti la différence. Le ton est donné dès les premières lignes : violence extrême, cynisme corrosif, humour noir et style ciselé. Du Tarantino appliqué à la Fantasy ! On suit les errances de Jorg, un bout de brute de treize ans, bouffi d’orgueil et trompe-la-mort, étrange chef d'une bande de mercenaires. Échappé de justesse au massacre de sa mère et de son jeune frère, auquel il a assisté impuissant, le jeune prince refuse de suivre bien sagement le parcours du héros classique en quête de vengeance. Pas de redresseur de tort ici, mais un apprenti sociopathe qui cache son stress post-traumatique derrière une violence débridée. Ça tue, ça pille, ça viole sans vergogne. A défaut de nous rendre le personnage sympathique, ça nous le rend fascinant.

Certains ont reproché le manque de réalisme de cette histoire, déclarant ce comportement improbable pour un garçon aussi jeune. J'ai trouvé au contraire que l'auteur a tout à fait cerné la psychologie adolescente, cette pulsion de mort, cette révolte, ce sentiment d'être invincible. Certes, le trait est poussé loin. Mais il s'inspire de situations bien réelles : pensons aux enfants soldats (le magnifique film Johnny Mad Dog en donne un exemple saisissant) ou encore au massacre de Colombine. Lorsqu'on y ajoute un zeste de contrôle mental et de magie noire, le tout est assez convaincant.

Le récit s'éloigne aussi des sentiers battus par son univers. Là où on jurerait au départ un monde médiéval-fantasy habituel, voire plan-plan, avec ses chevaliers, ses mages, ses châteaux et ses forêts, se dessine en une réalité plus complexe. Les étranges "Bâtisseurs" ayant fait sombrer le monde ancien mille an auparavant lors du "Jour des Mille Soleils" nous rappellent étrangement quelque chose... Et lorsque Jorg cite Nietzsche, il serait vain d'y voir un anachronisme. Ce mélange des genres est rafraîchissant et promet des développements intéressants dans les prochains tomes. J'attends donc avec impatience la suite !