Les joies (et les ampoules) d'une belle invitation à Marcher
Il y a des «petits livres» qui vous sont offerts de la façon la plus simple qui soit. Dans un circul'livre (partager gratuitement vos livres et vos passions) de mon quartier je tombe sur un livre qui raconte l'histoire de «gens qui n'avaient aucune chance de se croiser, mais qui tous, un jour, enfilent de grosses chaussures, un sac à dos et mettent le cap vers les confins de l'Espagne...». Je le prends avec gourmandise et c'est ainsi que j'ai rencontré Manon Moreau, ou plus exactement son livre (le premier) Le Vestibule des causes perdues (éd. Delphine Montalant, 2012).
Avec beaucoup de talent et d'invention, l'auteure nous présente tout le long de son livre des personnes qui, pour des raisons différentes, avec des connaissances distinctes et avec des attentes diverses, voire dans la méconnaissance d'où cela peut les amener, décident de se mettre en route. Et choisissent, plus ou moins conscients de leur choix et de ses implications, de s'y engager de la façon la plus naturelle qui soit, c'est à dire, marcher.
Ils partent seuls. Sans organisation qui prépare leur voyage, rempli leur sac ou les avertit de ce qui les attend (ou en tout cas ce qu'on peut anticiper). Et dans ce je pars seul il y a toute la magie de ce qui est la marche sur le chemin de St Jacques, el camino, où progressivement, dès le départ presque, on est avec d'autres et très vite on peut -si on veut- participer à un groupe, en liberté, sans contrainte et sans appartenance.
Et c'est de cette expérience individuelle et de groupe, de marche seule et collective, des rencontres fortuites ou organisées, que Manon Moreau nous fait vivre dans son roman. Et finalement, à un moment donné nous y sommes aussi. Nous côtoyons avec intérêt et sommes parfois déroutés avec Mara, parlons vivement avec Robert, voyons passer Sept Lieues, sympathisons avec Henrique et sa samba, sommes surpris par Bruce, attentionnés avec Clotilde, curieux de Marie Thé, essayons de comprendre Le Breton, Flora nous attendri, Arpad nous emballe... bref nous y sommes et tantôt accélérons la lecture pour connaître le chapitre suivant, tantôt ralentissons, j'allais dire le pas, pour mieux savourer une page, une séquence, mieux méditer sur leurs échanges ou rire avec leurs blagues.
Ce roman et pour un début c'est, à mon avis, une belle première, m'a fait repenser à mes différents moments de marche sur le chemin ou ailleurs. Et il m'a mis en mémoire des rencontres, des suites ou pas, mais de la chance de pouvoir, un temps, partager, disons communier quelque chose qui a à voir avec le respect, l'attention à l'autre, l'amitié naissante. Et tout ceci dans cette liberté que la marche nous procure. Être maître de son parcours car on est maître de soi, de son corps, de ses jambes. La marche n'est pas que la tête, le raisonnement, l'esprit. La marche est aussi, je dirais même avant tout son corps, ses jambes et surtout ses pieds. Son sac à dos, ce qu'on y met, ce qu'on oublie, ce qu'on prend de trop. Et heureusement qu'il y a sur les chemins des vestibules de causes perdues...
Et ensuite, Manon Moreau nous fait connaître d'où ça vient. Plus précisément la séquence d'avant. Celle qui a fait que l'envie, le désir, la décision de marcher s'est imposée. Et nous le découvrons au détour d'une conversation, au moment d'un dialogue avec soi, lors d'un souvenir qui vous assaillie, ou d'un coup de fil qu'on finit par faire à ceux qu'on a laissés. Nous percevons mieux la finalité, l'intention, l'exploit pour chacun du quart de tour à un moment précis de sa vie.
C'est tout ça et bien d'autres choses encore qui, plaisamment, on découvre et on accompagne dans ce bel ouvrage, qu'une jeune écrivaine nous offre, pour mieux nous faire marcher (mais au sens propre!)
http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/070814/les-joies-et-les-ampoules-dune-belle-invitation-marcher