Longtemps j'ai cherché une figure guerrière de référence à laquelle me raccrocher dans l'après-45, admiratif de Tabarly, Mohammed Ali ou tant d'autres, je cherchais aussi cette figure du soldat prêt au sacrifice ultime pour défendre la liberté, l'honneur ou la vie des gens qui n'ont pas les moyens de se défendre eux-même tout simplement. Une figure qui donnerait une vision de cette histoire récente et douloureuse différente de ce laïus tronqué et intolérant qui persiste aujourd'hui lorsque l'on parle des "guerres de décolonisation". Ayant moi-même vécu dans une famille fortement marquée par Mai 68, il aura fallu que je fasse des études d'histoire pour comprendre que rien n'est jamais aussi simple que ce que l'on veut bien nous faire croire, que le manichéisme est rarement de mise, que la guerre d'algérie ne se résume pas à une lutte entre méchant tortionnaires français et gentils combattant du FLN...
Les Champs de Braise c'est donc dans un style très bon les mémoires d'Hélie de Saint Marc qui personnifie un Français du XXe siècle qui se réveille au lendemain du 1er conflit mondial. Résistant en France, déporté en camp de concentration durant deux ans, engagé au bout du monde en Indochine dans une guerre de décolonisation qui tourna très vite en guerre contre le communisme et tout ce qu'il avait de totalitaire. L'auteur sera marqué, marqué par l'abandon de populations, d'ethnies qu'il avait appris à aimer et qui seront impitoyablement éradiquées physiquement ou culturellement par les "libérateurs" d'Ho-Chi-Minh;
marqué par le mépris de ses propres concitoyens qui crachèrent au visage de soldats qui luttait pour leur pays d'abord (patrie d'adoption pour les légionnaires qu'il commandait), pour un idéal ensuite puis enfin pour des gens sur place qu'ils ne voulaient pas abandonner: leurs frères d'armes ou les populations pour lesquelles et aux côtés desquelles ils combattaient;
marqué toujours par le conflit algérien où une nouvelle fois, alors que l'armée était pourtant victorieuse, Hélie de Saint Marc du abandonner les Harkis aux mains des "libérateurs" du FLN qui les massacrèrent par dizaines de milliers... Il décida donc de se révolter contre le pouvoir français, lui qui avait comme tant d'autres officiers connu la résistance et la déportation n'en pouvait plus de voir son honneur bafoué en abandonnant les habitants qu'il avait juré de défendre, en se faisant traité de nazi par des concitoyens bien peu au fait de la réalité du terrain. La torture n'était pas une mince affaire, des hommes qui étaient passé entre les mains des nazis dans les geoles allemandes décidèrent d'en user car ne supportant plus les attentats quotidiens dans Alger qui broyaient les vies d'hommes de femmes et d'enfants sans distinction, musulmans comme catholiques, Algériens de souche comme Pieds Noirs. Le procédé peut et doit être condamné, mais dans une logique de guerre, malheureusement, l'homme change, les américains s'en sont servis après le 11 septembre... Toujours est-il que comparer les soldats français en Algérie aux nazis de la seconde guerre mondiale tient plus de la stupidité que d'une réalité historique, ce genre de témoignage le rend encore plus évident.
Marqué enfin par l'enfermement suite à l'échec du putsch d'Alger et cette ultime souffrance pour un homme qui avait déjà tant souffert. Le général de Pouilly, au cours de l’un des nombreux procès qui suivirent le putsch, déclarait de façon magistrale et courageuse, devant le tribunal : « Choisissant la discipline, j’ai également choisi de partager avec la Nation française la honte d’un abandon… Et pour ceux qui, n’ayant pas pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre » ! Vérité ou non? Toujours est-il qu'il y a quelques jours la reconnaissance par le président F. Hollande de l'abandon des Harkis par la France pourrait y faire transparaître une part de vérité, car si l'Algérie indépendante était une réalité acceptable pour bon nombre de militaires (l'OAS était un mouvement marginal en terme d'effectifs), certains ne purent supporter l'idée de trahir ceux qui avaient cru en eux.
Au-delà de tout ceci, et même si on exècre tout ce qui touche au kaki, lire Hélie de Saint Marc c'est avoir un témoignage incroyable sur ce XXe siècle, siècle de sang, siècle de l'horreur, mais où parfois l'honneur désintéressé de certaines personnes laissait apparaître un peu de sens et de grandeur. Chacun ne sera peut-être pas d'accord avec l'auteur sur toute la ligne, qu'importe, Saint Marc ne cherche pas à justifier son existence mais à l'expliquer, à partager pour comprendre ce que fut cette période de notre histoire. Lui qui croyait en la jeunesse de ce pays ne refusait jamais une conférence pour pouvoir échanger avec les nouvelles générations en lesquelles il avait la plus grande foi et pour qui son message le plus important était de dire qu'il fallait avoir le courage de vivre la vie que l'on rêvait de vivre. Quand au sens de l'engagement, notamment militaire qui forcément l'aura marqué plus que n'importe quel autre, en juillet 2010, il confiait: « Nos jeunes soldats ne se battent pas en Afghanistan pour défendre des biens mais pour remettre le pays à des gens qui veulent la liberté, comme en Indochine. Nos épreuves vietnamienne et algérienne préfigurent peut-être les conflits du XXIe siècle. Une nation perd sa liberté le jour où elle n’a plus en son sein des hommes prêts à se sacrifier pour la liberté. » .
A la différence de l'auteur j'ai parfois tendance à croire que l'on vit dans un monde de plus en plus individualiste et cynique, je remercie donc Hélie de Saint Marc d'avoir su me guider au milieu des Champs de Braises.
L'auteur étant décédé en 2013, après vous avoir recommandé une dernière fois cet immense ouvrage, je citerais ci-dessous une petite partie de l'éloge funèbre que prononça le général Bruno Dary et qui me fait frissonner:
"Oui, Hélie, oui, nous nous reverrons à l’ombre de Saint Michel et de Saint Antoine, avec tous tes compagnons d’armes, en commençant par les plus humbles, dans un monde sans injure, ni parjure, dans un monde sans trahison, ni abandon, dans un monde sans tromperie, ni mesquinerie, dans un monde de pardon, d’amour et de vérité !"