Ruth Ware signe, avec les cinq règles du mensonge, un roman qui se laisse dévorer sans difficulté. Quatre jeunes étudiantes, ayant fréquenté une école anglaise de la dernière chance, se sont liées d’amitié et liguées contre l’autoritarisme mesquin et le règlement étroit d’esprit de leur pensionnat. Kate, la tête fédératrice du groupe, s’est jurée de s’imposer aux anciennes et aux profs en distillant des mensonges aussi énormes que loufoques, déplacés et, intérieurement, de se moquer de ses victimes en savourant l’ascendant que le quatuor peut développer sur ces officiellement détenteurs de l’Autorité. Avec Thea, sa comparse dans ce jeu du mensonge, elles embrigadent deux nouvelles recrues, Fatima et Isa. Le quatuor peut alors s’adonner à ce jeu tordu avec toute l’insouciance de leurs 15 ans et sans jamais se poser la question des conséquences stupides que ce lien entre elles peut avoir pour les autres. Le mensonge devient donc le personnage central, le cœur de l’intrigue et les règles de ce jeu sont on ne peut plus simples : Dis un mensonge – Ne change pas ta version – Ne te fais pas prendre – Ne mens jamais à tes amies partenaires – Sache quand tu dois arrêter de mentir.
Dans ce microcosme du pensionnat où tout est interdit (fumer, sortir, boire, …) les quatre comparses vont multiplier les transgressions et vivre des WE et nuits de débordements et d’exploration des libertés bancales en matière d’alcool, de découverte de la nudité, de leurs corps et de ceux des autres. Le père de Kate, artiste peintre, professeur de dessin au pensionnat est un adulte de proximité incapable de se donner des limites. Luc, le demi-frère de Kate que le père a recueilli chez lui dans le seul but de lui octroyer une chance, enfin, de vivre librement est, lui, un adolescent en quête de reconnaissance du père. Tout ce petit monde va graviter dans une sphère de transgression permanente de l’ordre établi. Sans perversion mais toujours au-delà des limites de la bienséance, les filles vont expérimenter une vie dissolue dont il faudra payer la note une fois adulte. Le prix du mensonge est celui du silence qu’elle ne peuvent briser car leurs secrets collectifs sont le cœur même du quatuor et n’appartiennent à aucune individualité.
Bien des années plus tard, devenues adultes, les filles n’ont rien oublié de leur union de mousquetaires libertines. Kate siffle, elles rappliquent. Entre mensonges à leurs familles, doutes qui s’infiltrent dans la relation qui les unit mais pourrait tout aussi bien les désunir, entre leurs certitudes sur le père, sur Luc, les profs et les anciennes du pensionnat, elles cherchent toutes le moyen de rester fidèles aux serments d’autrefois. Elles visent toutes à se sauver, préserver leurs ménages, leurs carrières, leurs vies d’aujourd’hui, le tout dans le respect de l’esprit d’antan auquel elles continuent de croire. Tensions, tiraillements, remises en question, recherche éperdue d’une solution, tout cela va entraîner le lecteur dans une course folle où la vérité est la position qu’il est encore possible de tenir sans tout détricoter. Garder hier, préserver l’aujourd’hui, ne pas s’embourber dans de nouveaux mensonges qui rendront boueux demain et l’avenir.
On ne ferme ce bouquin qu’une fois arrivé au bout et on s’interroge sur le silence enfermant et la simplicité qui pourrait naître d’un aveu de vérité. Pourquoi tant de personnes préfèrent-elles privilégier le mensonge dans leur vie et son cortège de complications ?
Assurément, Ruth Ware frappe fort et juste avec ce jeu du mensonge ! Un bouquin qui, probablement, ne passera pas inaperçu lors de sa sortie au mois de mars 2021.
Merci à NetGalley, France et aux éditions du Fleuve pour cette découverte.