Quoi que leur titre laisse entendre, les Funérailles du Naturalisme traitent assez peu du naturalisme. Et si funérailles il y a, Bloy s’intéresse moins à la charogne dans le cercueil qu’à ceux qui le portent. Ceci pourra surprendre le lecteur plus habitué à trouver sous la plume de l’auteur les noms de ses exécrations : Zola, Maupassant, Goncourt, Daudet… que ceux de ses adorations : Barbey, Baudelaire, Villiers, Verlaine… – je mets Huysmans à part.
Cela me semble venir de la visée de ce livre : il s’agit d’un recueil de conférences données en 1891 au Danemark, à destination d’un public lettré que Bloy entend détourner du naturalisme alors triomphant dans le pays. (Je ne reviens pas sur l’histoire éditoriale de ces conférences, que Pierre Glaudes détaille dans son édition abondamment annotée.)
C’est peut-être pour cette même raison que Bloy semble ici très sage. Comme il ne s’agit plus simplement de revendiquer, mais d’exposer et de convaincre un public à qui la langue et l’actualité littéraire françaises ne sont pas forcément bien connues, l’auteur du Désespéré manie avec une inhabituelle parcimonie ses armes habituelles – ironie, hyperbole, recherche du mot rare, etc. Qui s’attendrait à lire sous sa plume, même sous forme d’une incise, « Le ciel me préserve de toute exagération » (p. 165) ? Il serait presque nuancé : « il serait injuste et déraisonnable, autant que puéril, de dénier à Zola les qualités d’un puissant écrivain. / La tendance générale de son œuvre est abominable, sans doute, et voilà bientôt quinze ans que je vocifère pour le démontrer. Mais il n’en a pas moins écrit de très fortes pages » (p. 12) !
C’est ce qui donne à ces pages l’allure d’une galerie de portraits littéraires, à la façon de celles que présentèrent également Barbey ou Verlaine – je choisis parmi tous les pratiquants du genre, florissant au XIXe siècle, deux noms aimés par Bloy. Celui-ci, assurément, va contre sa pente naturelle dans les Funérailles du Naturalisme. Cependant cela ne l’empêche pas de développer les motifs récurrents de sa pensée : « je n’ai pas promis de vous présenter et d’offrir à votre admiration des hommes heureux. Les heureux en littérature, vous les connaissez déjà, on vous envoie très exactement leur marchandise » (p. 181) ou encore « Tout nous manque indiciblement. Nous crevons de la nostalgie de l’Être. L’Église, qui devrait allaiter en nous le pressentiment de l’Infini, agonise, depuis trois cents ans qu’on lui a tranché les mamelles » (p. 19).
Au choix, on regrettera que ces conférences ne soient pas tout entières faites d’imprécations, ou bien on savourera le fait que pendant ces funérailles-là, on n’entende que de loin le vacarme du champ de tir. Je dis de loin, car il est tout de même question ici de « cet odieux art japonais, matériel et futile, comme un art d’esclave ou de galériens qui tend à l’effacement et au déshonneur du spirituel génie des races occidentales » (p. 222) ; Bloy vise ici Edmond de Goncourt, par ricochets. Il y a aussi ce portrait de Zola en monstre : « L’auteur de L’Assommoir et de Germinal est une façon de primate impossible à domestiquer, moitié gorille et moitié lion, qui pourvoit lui-même à son assouvissement dans les solitudes et qui ne serait capable que de dévorer les pasteurs assez téméraires pour le mener paître » (p. 12).

Alcofribas
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le 4 juin 2019

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