Les Habitants du Mirage : le jalon de l'heroic-fantasy

Mon rapport au célèbre roman Les Habitants du Mirage s'est avéré reposer sur un problème plus vaste qu'une simple appréciation personnelle. Je me revois encore chiner ce vieil exemplaire des éditions J'ai Lu, dont la couverture signée Caza m'a immédiatement faite de l'œil.


Pourtant, l’ouvrage majeur de Abraham Meritt me tombe des mains vers les 50 pages, la faute à un style lourd qui ne touche pas ma fibre amatrice de bonne vieille fantasy d'époque. C'est alors que je découvre que cet ouvrage a été réédité par les soins d'une maison d'édition dont j'affectionne grandement le travail éditorial... Nul autre que Callidor !


Une édition illustrée, dans un somptueux écrin noir, blanc et or, avec une toute nouvelle traduction, qui plus est ! L'occasion de réparer une injustice sûrement commise par une première version française remaniée n'importe comment... Après tout, il aura fallu attendre le Diable Vauvert pour enfin lire le véritable Neuromancien !


Et là, la différence est de mise : je parcours avec un certain plaisir les pages, découvrant enfin la folle épopée de Leif, l'un des premiers héros au panthéon de la fantasy, à une époque où elle peinait à être reconnu comme un genre littéraire. Sa lutte contre l'entité Khalk'ru, le Néant absolu, prend vite des atours de récit d'heroic fantasy pur et dur, et pour cause : c'est bel et bien Meritt le père fondateur du genre, alors qu'on l'attribue à Robert Howard et son Conan.


Un honneur qui semble lui être enfin rétribué, conforté par le travail soigneux de Callidor en liant son œuvre phare au travail d'illustration de Virgil Finlay, son illustrateur de longue date. Son trait délicat offre un réalisme bluffant qui teint d'un onirisme délicat les scènes phares du roman, rendant l'expérience de lecture plus immersive.


Fort de son envie d'innover, Meritt exploite des idées et concepts scientifiques inédits pour l'époque, comme le fait que exploiterions seulement 1% de notre cerveau. Il n'en faut pas davantage à l'auteur pour en faire l'un des arguments phare de la réflexion des Habitants du Mirage : après tout, qui sait ce qu'abrite ces régions inexplorées de notre esprit ? Une connaissance absolue du monde, comme dans Lucy ? Ou bien l'âme endormie de Dwayanu ?


Le tout offre un récit schizophrène plus qu'efficace : Leif, jeune homme aux traits vikings condamné à devenir un futur bureaucrate géologue, va accueillir dans son esprit celui du héros messianique Dwayanu, sauveur d'un monde perdu dans les recoins de l'Alaska.


Craignant que l'esprit de ce héros mythique prenne le pas sur le sien, il devra pourtant agir de concert avec cet esprit guerrier afin de pouvoir libérer le Petit Peuple de l'oppression... puisque Dwayanu ne réclame pas, il prend. Meritt développe donc deux personnages au sein d'un seul, et en convoquant la mythologie scandinave dans son univers, il construit avec Les Habitants du Mirage un splendide morceau d'heroic fantasy, qui se retrouvera cependant alourdi par une romance mièvre entre Leif et Evarie.


Elle sera heureusement contrebalancée par une autre romance, entre Dwayanu et la Sorcière, qui donne ici un peu de grain à moudre et un travail narratif plus étoffé. Au milieu de tout cela, Meritt lorgne autant sur l'horreur façon Lovecraft que sur la sword and sorcery de Robert Howard, déployant autant d'arguments scientifiques pour distiller l'imaginaire que d'éléments magiques nous enfonçant pleinement dans la fantasy pure et dure.


C'est finalement la beauté des Habitants du Mirage, au delà de son univers riche : être un jalon crucial dans l'histoire de la fantasy.


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le 25 juil. 2023

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Gabzou
9

Critique de Les Habitants du mirage par Gabzou

Un très sympathique lovecraft-like (dont il est contemporain) dans l'univers, plutôt aventure/action dans l'écriture. Au style un peu daté mais qui reste de qualité et lisible aujourd'hui.

le 9 oct. 2019

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