Les Îles du Soleil de Ian R. MacLeod est une histoire prenant place dans un Royaume-Uni uchronique de 1940, dirigé par un certain John Arthur, leader charismatique et représentant d'une idéologie appelée Modernisme bien différente du mouvement culturel du début du XXe siècle.


On y suit les tribulations de Geoffrey Brook (ou Brooke), professeur à Oxford né en 1875 et en train d'écrire son ouvrage Les doigts de l'Histoire (plus tard appelé Les Rois de l'Histoire) pour étudier l'influence de l'Homme sur les évènements et vice-versa. Apprenant qu'il est atteint d'un cancer, il décide de revenir sur un ancien lieu de sa jeunesse où il était venu avec son ami Francis : les "Îles du Soleil" situées près de l'Écosse, pour deux autre raisons en plus de chercher l'inspiration pour son livre.


Geoffrey et Francis sont en fait homosexuels et ils avaient séjourné près des Îles du Soleil en amoureux dissimulés en 1914, juste avant la Première Guerre Mondiale. Geoffrey y revient plus tard en 1940, sans Francis mort en 1918 pendant la Guerre. Hélas, les Îles du Soleil sont introuvables et ont disparu des cartes.
Geoffrey soupçonne alors le gouvernement moderniste de John Arthur d'y être pour quelque chose et de chercher à cacher l'éventuelle présence de populations déportées et indésirables sur ces îles.


La grande faiblesse de ce livre, même s'il présente la mélancolie et l'introspection d'un individu pour ainsi dire lambda luttant contre la maladie et un régime qu'il juge hypocrite et dangereux, réside dans cette première partie qui s'attarde un peu trop sur la vie privée de Geoffrey et pas assez sur le caractère politique et géopolitique de cette "Très-Grande-Bretagne" uchronique.


Il faut attendre le deuxième tiers ou la deuxième moitié de l'ouvrage pour avoir enfin une description du cadre politique, et encore ça reste vague, peu inspiré et peu original surtout pour le lecteur français qui ne connaît pas toute les références anglaises présentes dans Les Îles du Soleil :


On apprend que dans cette réalité, l'Entente a perdu la Première Guerre Mondiale face à l'Allemagne, mais que c'est l'Angleterre qui en est la grande perdante. L'Allemagne est donc resté un Empire certes autoritaire mais non fasciste ou nazi. L'Angleterre prend alors un chemin similaire qu'a connu la vraie Allemagne entre 1918 et 1940 : défaite, ressentiment, sentiment de trahison, crise politique et économique, luttes entre communistes et fascistes, haine des minorités jugées responsables de la défaite et du déclin, etc.


Mais dans cette réalité, ni les communistes anglais ni les fascistes de Oswald Mosley ne prennent le pouvoir. À la place, un leader nommé John Arthur prend le pouvoir grâce son parti l'Alliance Impériale et à l'idéologie du Modernisme (sorte de fascisme ou nazisme "light" inspiré du futurisme italien) en 1932 à la suite d'élections. Il se tâchera de rester au pouvoir comme dictateur comme Hitler en faisant son propre incendie du Reichstag : le palais de Buckingham est brûlé en 1933 et il fait accuser les socialistes et communistes. Edward VIIII et Wallis Simpson, pro-fascistes, sont restés Roi et Reine d'Angleterre dans cette réalité. Le nouveau régime en profite aussi par se débarrasser des "indésirables" et regagne les territoires perdues par l'empire britannique (Rhodésie, Inde, etc.)


Geoffrey Brook doit donc évoluer dans cette Très-Grande-Bretagne d'inspiration fasciste
qui menace de faire la guerre de revanche
à la France et à l'Allemagne dirigées par De Gaulle et le Kaiser. Et ben que la vie paraisse belle en Angleterre sous le joug moderniste, Geoffrey se doute bien que ce système ment et est un danger d'une hypocrisie sans nom :


En fouillant dans des affaires chez les parents de son amant Francis, Geoffrey s'aperçoit que Francis et John Arthur sont en fait une seule et même personne. Or, le système voulu par John Arthur déporte les juifs, les homosexuels (alors que Geoffrey et John/Francis le sont), les communistes et les opposants politiques sur les Îles du Soleil pour qu'ils y meurent.


Geoffrey décide donc de se munir d'un revolver pour tuer John Arthur grâce à son invitation pour les commémorations de la Trafalgar Day (21 octobre 1940 ici) qui célèbre la victoire de 1805 contre Napoléon ainsi que le cinquantenaire du dictateur, pour ainsi venger ses compatriotes et voisins victimes du régime moderniste et pour faire basculer l'Histoire.


Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu :


Christlow, le majordome de Brook, le dénonce aux Chevaliers de Saint Georges (l'équivalent anglais et moderniste des SS ici) en voyant son pistolet dans sa valise. Les CSG le torturent pour l'interroger en lui cassant la main droite, mais contre toute attente John Arthur ordonne qu'on libère Geoffrey pour qu'il puisse toujours aller à la Trafalgar Day (étant de toute façon neutralisé, vieux et malade).


Geoffrey arrive donc diminué auprès de John Arthur et après ses obligations de dictateur, il l'emmène son vieil ami seul avec lui dans un pub anglais ordinaire. Il profite du voyage pour lui faire des révélations :


John Arthur est bien au courant de la tentative d'assassinat mais il prêt à lui pardonner car il est bien son amant Francis. Lors de la Grande Guerre, il n'avait pas réussi à s'illustrer au combat, son unité étant abandonné par les grandes pontes. Il a donc pris l'identité d'un soldat anonyme sans famille et mort glorieusement au combat : John Arthur.


Il est revenu en 1918 dans une Angleterre humiliée et ruinée. Et après des années de misère, il décide de se mettre à la politique et constate son succès ainsi que la haine qu'ont ses compatriotes à l'égard de l'Allemagne, de la France et des minorités. Et bien qu'il se félicite d'avoir fait de la Très-Grande-Bretagne une grande puissance à nouveau, il se sent lui-même dépassé et qu'il n'est qu'un pion dans l'Histoire comme Geoffrey.


John Arthur soupçonne aussi des hommes de son propre camp comme Tim Holler (chef des CSG) ou même le ministre William Arkwright de chercher à lui prendre sa place ou de lui nuire. Mais à aucun moment, il ne semble ressentir de compassion pour ses compatriotes déportés. Geoffrey se sent impuissant à faire entendre raison à John et constate que le peuple (du moins celui dans le pub) est de côté, jusqu'à ce que ...


Alors qu'il est dans le pub avec Geoffrey, John Arthur est assassiné par des inconnus par mitrailleuses et bombe au pub. Brook s'en sort de justesse et devient presque même héros national. En effet, les menaces de guerre contre la France et l'Allemagne inquiétaient les élites et une partie de la population, toutes deux inquiètes de tout perdre à nouveau. William Arkwright l'a donc trahi et a fait appel à l'armée pour l'assassiner, avant de révéler les génocides et déportations perpétués par les modernistes.


L'opinion britannique, bien que pleurant la mort du leader, ne peut pas continuer à soutenir un régime pris en flagrant-délit de génocide. Geoffrey Brook obtient donc la renommée, ayant connu le dictateur dans son jeunesse et son livre rebaptisé Les Rois de l'Histoire (en référence à lui et John Arthur) sort avec un franc succès, illustrant ainsi bien l'influence des es évènements sur l'Homme et vice-versa. Geoffrey ayant le sentiment d'avoir accompli un de ses rêves, ne peut cependant que pleurer la perte de Francis et décide de quitter l'Angleterre pour espérer que sa fin de vie sera plus heureuse ailleurs ...


Si Les Îles du Soleil est un excellent drame, en revanche le côté uchronique est assez faible et n'est qu'un prétexte. Et quand on est historien, on aurait aimé de plus amples explications et développements sur le modernisme et son côté "diabolique" pour mieux comprendre en quoi il est aussi abject que le nazisme et le fascisme (le film En Angleterre occupée y arrivait très bien).


La haine envers les indésirables n'est pas tellement développée (sauf chez le père de Francis, par désir de revanche suite à la défaite), du moins on ne verra jamais de discours de John Arthur et des modernistes à leurs sujets et on ne saura jamais ce que les Anglais leur reprochent pour en arriver à de telles extrémités. D'ailleurs, la déportation des juifs, des homosexuels et des opposants y est même à peine abordée alors même que la couverture et le titre Les Îles du Soleil laissaient présager que l'auteur aurait parlé de l'univers concentrationnaire uchronique britannique plus que ça.


Même si on a de grandes chances de s'identifier à Geoffrey Brook, homme ordinaire au cœur brisé et rongé par la maladie qui veut laisser une trace dans l'Histoire, le fascisme et la dictature y sont dépeintes de façon trop "light" et trop douces pour que le côté uchronique ou dystopique soit suffisamment crédible.


Bien que la patrie de George Orwell ait imaginé des dystopies horribles telles que dans 1984 et que rien n'oblige Ian MacLeod à faire de même, Les Îles du Soleil apportent hélas peu d'originalité au monde de l'uchronie, la dictature de John Arthur ne ressemblant qu'à un mauvais rêve oubliable.

darevenin
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le 9 janv. 2022

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