J'avais 18 ans et je passais mes vacances dans un camping, lieu qui ne m'enchante guère. Pour remédier à la peur causée par la formidable chorégraphie du club et à l'ennui, je me suis plongée dans la lecture des Joyaux Noirs. Ce fut mon baptême de dark fantasy, côté obscur que mon innocence ne m'avait pas autorisée à explorer jusque là.


Avant de continuer, âmes sensibles, s'abstenir. C'est dans un monde complexe, sombre et d'une extrême violence dans lequel Anne Bishop nous emmène. Complexe parce que j'ai mis du temps à comprendre comment fonctionnaient les différentes castes de la Parenté, avec toutes les spécificités qui lui étaient attachées et encore plus de temps à retenir l'ordre des Joyaux, réservoirs magiques dans lesquels leurs propriétaires peuvent puiser pour toutes sortes de sorts. Le tout est régi par un code couleur, allant de la plus claire à la plus sombre en termes de puissance. Croyez-moi, vous allez faire des allers-retours entre la page de garde et la fiction elle-même avant de retenir la leçon.


Il serait facile de reprocher cette complexité à Anne Bishop, car elle empêche au lecteur de plonger directement dans le monde qu'elle a esquissé. Mais ce serait être de mauvaise foi, car ces spécificités sont assez originales et fascinantes.


Nous voilà donc dans le royaume de Terreille, royaume corrompu par des reines au cœur noir et à la cuisse légère à la solde de la Haute-Prêtresse de Hayll, Dorothea SaDiablo, bien décidée à prendre le contrôle du royaume tout entier. Mais pour cela, l'ambitieuse a besoin d'un enfant puissant, engendré par deux des mâles les plus dangereux que la Parenté ait jamais mis au monde, Daemon Sadi, un Prince de guerre portant un joyau noir et son demi-frère Lucivar Yaslana, Prince de guerre portant le gris ébène, tous deux transformés en esclaves sexuels. Mais un obstacle s'est mis en travers de sa glorieuse route : l'annonce de la venue de Sorcière, créature si puissante qu'elle sera capable de purifier la Parenté de la souillure de la despote.


Quel joyeux tableau, n'est-ce pas ? Le lecteur attentif aura remarqué que j'ai parlé d'esclaves sexuels. La violence sexuelle est monnaie courante dans ces livres, sans qu'il en soit fait l'apologie ou que les scènes de violence soient décrites par le menu. Anne Bishop a la délicatesse, si je peux m'exprimer ainsi, de les suggérer. Viols et attouchements soulignent simplement le degré de corruption de la Parenté, censée être la gardienne des royaumes et de leur morale et l'horreur de ce que vivent les personnages. Ces scènes sont, je vous rassure, contre balancées par des descriptions d'actes sexuels consentis, par ailleurs bien écrites, ce qui est assez rare pour être mentionné.


Parlons-en, de ces personnages. Tout au long de l'histoire, nous alternons entre différents points de vue : d'abord celui de Saetan SaDiablo, Haut Seigneur de l'Enfer, le royaume des morts, puis celui de Daemon Sadi et de Lucivar Yaslana et enfin celui d'Onirie, sorcière prostituée de son état et assassin à ses heures perdues. Tous font la connaissance d'une mystérieuse fillette prénommée Jaenelle, qui se révèle très vite être une sorcière d'une puissance jamais égalée et enfermée dans un asile car elle est "differente". Chacun à leur façon, les personnages sont attachants, bien que victimes de la violence de leur monde et participant à celle-ci, car ce que nous fait bien comprendre Anne Bishop, c'est que cette presque sauvagerie pulse dans les veines de la Parenté, qui n'est pas tout à fait humaine et qui doit être réprimée à chaque instant. Ces personnages instaurent une distance entre eux et nous, tout en étant abominablement et délicieusement humains à certains moments. Car la force de l'auteur, c'est aussi de savoir slalomer entre moments d'une angoisse et d'une sauvagerie incroyables et moments d'une douceur touchante : je pense notamment à toutes les scènes très paternelles entre Jaenelle et Saetan, les instants de complicité fraternelle entre Lucivar et Daemon...


Même Dorothea, qui aurait pu passer pour une antagoniste caricaturale, est d'une perversion impressionnante, d'une cruauté subtile et jamais ridicule. Il en est de même pour les personnages à sa botte, quand ils ne la dépassent pas en matière d'idées malsaines. C'est dérangeant et en même temps exquis (non, cela ne signifie pas que j'approuve ce genre d'actes).


Ces livres ont l'avantage de ne jamais nous laisser respirer, car l'action s'enchaîne, l'atmosphère s'alourdit au fur et à mesure que les révélations sont faites et que nous nous perdons dans l'horreur de l'esprit tordu de Dorothea SaDiablo.


Et, loin d'être de simples livres faisant du gore pour faire du gore, ce qui est insupportable, ils abordent plusieurs thèmes importants : la gestion de la différence par la société à travers Jaenelle, qui souffre du rejet de sa famille et des atrocités dont elle est témoin dans son asile. C'est d'autant plus touchant qu'avec cette fillette, nous sommes témoins d'une enfance brisée, d'une innocence volée par la corruption d'un monde adulte. Et finalement, ces personnages violents, pervers, ne sont que l'exagération des côtés les plus sombres de l'âme humaine, car il faut bien l'admettre, de tels monstres rôdent parmi nous.


Pour conclure, Les Joyaux Noirs ont été une belle découverte et cette série gagnerait à être plus connue du grand public.

Queen-Arsinoe
10
Écrit par

Créée

le 15 juin 2018

Critique lue 488 fois

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