Dans ce bref essai, le sociologue Loïc Wacquant traite, pour résumer de manière succincte, de la politique de la « tolérance zéro », de ses origines (think thanks étasuniens), de son développement, de sa constitution (présupposés sociaux-politiques, choix politiques…) ainsi que de sa diffusion à l’extérieur et notamment en Europe par les très gauchistes travaillistes anglais et sociaux-démocrates allemands ou français.
Évidemment, comme chacun s’en doute, la tolérance zéro ne vient pas de nulle part. Pour l’auteur, les zélateurs de la tolérance zéro sont tout d’abord des individus, pour qui, se sont en premier lieu, les politiques d’aides sociales (considérées comme trop généreuses) d’assistance aux plus démunis qui sont responsables de la pauvreté (toujours actuel n’est-ce pas ?). Faisant le lien entre pauvreté et délinquance, le social rend possible le criminel.
Cela, c’était pour la main droite, de l’autre côté du désinvestissement social c’est la main gauche qui prend le relai, la carcérale, chargée du redressement et de la sanction, meilleur moyen de contenir et cadrer les populations déviantes et finalement inutiles (voire nocives) à la société. Le carcéral comme palliatif à la dégénérescence de l’Etat Providence. Ce sont donc bien les classes populaires qui sont la cible de cette politique de pénalisation, mais, de manière insidieuse.
Finalement, baisse du social et hausse du carcéral sont pour Loïc Wacquant liés de manière très forte. Il faut donc voir, selon lui, ce projet comme une nouvelle vision globale de la société, où le carcéral est intimement lié à l’évolution des autres domaines d’intervention de la puissance publique, qui, comme on s’en doute, ne profitent pas de la même largesse budgétaire (celui de la Justice stagne, celui du social fond comme neige au soleil tandis que celui du carcéral explose).
L’ouvrage est aussi intéressant dans le sens où il permet de contredire par les faits plusieurs axiomes de la pensée banale. Par exemple, l’idée défendue, mais aussi, pouvant sembler aller de soi, que le taux d’incarcération suivrait la courbe du taux de criminalité. Les deux n’ont bien sûr rien à voir, ou en tout cas, il n’y a pas de lien de causalité de l’un envers l’autre.
Il est d’ailleurs amusant de constater que le développement de la politique de la tolérance zéro aux États-Unis s’est fait dans un contexte global de stagnation voire de baisse de la criminalité. Et encore, on ne parle pas du déclassement de New York dans la hiérarchie des villes les plus criminelles du pays, pourtant parangon du tout sécuritaire …
Sur la hausse des incarcérations, évidemment, il s’agit encore ici d’un choix politique. C’est l’idée de décider de criminaliser un acte qui ne l’était pas, ou, de pénaliser de manière plus forte tel ou tel acte déjà condamnable. Résultat, ¾ des emprisonnements dans les prisons américaines concernent la petite délinquance (stupéfiants, troubles à l’ordre public, petits vols…) et comme l’auteur l’écrit « des familles du sous prolétariat de couleur des villes frappés de plein fouet par la transformation conjointe du salariat et de la protection sociale ».
Ainsi, Loïc Wacquant en profite pour revenir sur la question raciale. Car, pour l’auteur, les différences de taux d’incarcération entre blancs et noirs ne résultent pas, évidemment, d’une propension plus ou moins grande au crime de manière, je ne sais pas comment dire, biologique, mais bien des politiques d’ordre discriminatoires mises en place par le pouvoir politique (ça me rappelle un documentaire qui montrait que les drogues consommées par les noirs-pauvres étaient plus sanctionnés que celles consommées par les blancs). Nonobstant ce que pouvait dire Mark Twain sur les chiffres, certains sont particulièrement évocateurs. Ainsi, les noirs, à l’époque du bouquin représentaient 13 % des consommateurs de stupéfiants (et 13 % de la population en générale) mais constituaient les ¾ des individus emprisonnés pour infraction à la législation sur les stupéfiants.
En dehors de ces brefs points susmentionnés, l’ouvrage aborde tout un tas d’autres éléments, mais je vous laisse la découverte. Sinon, l’auteur se répète un peu trop, sa thèse n’étant finalement pas, en elle-même, si épaisse que ça. Mais, la lecture de cet ouvrage n’en demeure pas moins plaisante, toujours utile pour le débat public, la réflexion personnelle et permet de bien contredire les discours creux qu’on peut entendre dans son entourage ou dans les médias sur la délinquance et le système carcéral (je peux en témoigner).
Allergiques aux jargonneux vous pouvez y aller, tout est clair et compréhensible. Un beau travail d’accessibilité.
PS : Sorte de résumé de la thèse de l’auteur trouvée dans un article scientifique en parallèle de ma lecture de l’ouvrage :
« La montée en puissance et l’exaltation de la police, des tribunaux et des prisons sont une composante à part entière de la révolution néolibérale. Dans les périodes et les régions où celle-ci progresse sans entrave, la dérégulation du marché du travail à bas salaires nécessite la réorganisation restrictive de la protection sociale pour imposer l’emploi précaire au prolétariat post-industriel. Ces deux processus, à leur tour, déclenchent l’activation et le renforcement de l’aile pénale de l’État, d’abord pour réduire et contenir les dislocations urbaines causées par la diffusion de l’insécurité sociale au bas de la hiérarchie des classes et des places, et ensuite pour rétablir la légitimité des dirigeants politiques discrédités pour avoir organisé ou acquiescé à l’impuissance du Léviathan sur les fronts social et économique. »