Avec le livre « Les amochés » (Janvier 2019), Nan AUROUSSEAU est désarçonnant. L'entame du récit laisse croire à une fiction fantastique, une histoire rocambolesque sous contrôle de doubles cosmiques, avec suspicion de destruction massive du genre humain. Au coeur de l'apocalypse, l'auteure, de manière convenue, maintient en vie – mais vivre est peut-être un grand mot – trois paumés en errance sous un soleil qui, à toute heure, danse au zénith !
Puis, peu à peu, le lecteur se surprend à suivre, plus qu'à aimer, le personnage central, narrateur de cette histoire sans repère. Abdel Ramdamkétif est un vieux villageois d'un village de montagne coupé d'à peu près tout. Aigri, misanthrope, solitaire, fragilisé par des ruptures amoureuses mais fortifié de toutes les références livresques et cinématographiques, fruits d'une passion absolue pour la culture, toutes périodes et styles d'écriture confondus, Abdel est cependant capable d'analyser le monde et de poser sur un regard critique sur la modernité qui réduit nos quotidiens à des fonctionnements plutôt qu'à une vie. Cette puissance de penser alimente l'incessante conversation qu'il tient avec lui-même et qu'il partage, exceptionnellement, avec Roger, garçon de café, Laure et Sandra, les jumelles ou, plus étonnant, un directeur de la prison.
Que s'est-il passé ? Ses souvenirs extrêmement précis lui offrent une conscience parfaite de la situation apocalyptique vécue. Il en est conscient, sa réalité est indicible. Il est donc exclu qu'il s'appuie sur ce vécu pour récuser l'accusation de viol que porte contre lui la famille de Sandra, une des jumelles ayant partagé son aventure cosmique.
Insidieusement, par le biais d'une accusation malveillante et à la réaction formatée de la police et du monde judiciaire, l'auteur nous a ramené dans le monde des cabossés, ces amochés de la vie qui se dépatouillent comme ils peuvent en s'accrochant à des modes de vie pourris par l'alcool, la drogue, la perte d'identité, la soumission à la Loi du plus fort ou le vide sidéral qui existe entre leurs quotidiens et les rêves qu'ils avaient sur la vie ! Bienvenue dans notre quotidien, sur un petit monde qui tourne comme un disque voilé où rien n'est droit, tout est gauchi, faussé, minable et sans espoir.
Et pourtant, la violence se nourrit de toutes les bassesses humaines mais donne aussi naissance à des bravoures solidaires et anonymes. Là où ne devrait nicher que la soif de vengeance, s'installe aussi l'oubli qui ouvre l'avenir. Allez comprendre !
Nan Aurousseau, a vécu une jeunesse cabossée. Entre respect de la Loi et illégalité, mépris des règles sociétales et recherche d'une place où se construire, incarcération et remise en liberté, le fait est évident, l'auteur s'est construit sur le chaos ! Mais la Culture, l'amour du livre, la pensée des auteurs ont joué un rôle prépondérant dans ce qu'il est advenu. Il est maintenant un auteur, portraitiste d'un monde noir, dur, amer mais bien réel !
Son récit, quittant le fantastique, s'installe dans le polar social et, ma foi, il y devient crédible, interrogeant nos quotidiens et l'opportunité des chemins de traverse qu'il nous est donné de choisir pour ne plus se fondre dans la masse monolithique de la pensée unique. Une ouverture vers une société inclusive ? A nous de décider. A nous de peaufiner le modèle que nous voulons nous forger pour servir de jalons à nos pas quotidiens !