« Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles »

« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie »


Confronté tel Blaise Pascal à l’obscurité d’une voûte étoilée la nuit, qui n’a jamais ressenti la place dérisoire que nous occupons dans l’Univers ? Depuis la nuit des temps ce simple constat a toujours suscité chez l’homme des sentiments religieux, spirituels ou métaphysiques. L’émerveillement laisse pourtant vite place à une pensée un peu effrayante.


Face à un tel panorama, comment ne pas succomber à l'idée déplaisante que l’homme est un étranger (un accident !?) dans ce monde ?


« L'Univers a la curieuse faculté de laisser les êtres vivants penser que ses remarquables propriétés ne sont pas favorables à la vie alors qu'elles lui sont essentielles »


Que veut nous dire l’auteur ? Sa taille et son âge immenses, la désolation et l’obscurité de son espace, comment croire que cela pourrait être favorable à la présence d’êtres vivants ?


Reprenons. Quel est le sujet du livre ? Les constantes et les lois de la Nature. La vie, en tant que système organisé et complexe, nécessite la chimie du carbone. Or, cet élément est le résultat de l’alchimie stellaire qui prend du temps à opérer, des milliards d’années. Et comme notre Univers est en expansion depuis le Big Bang il est donc vaste de plusieurs milliards d’années-lumière, le temps requis pour produire les matériaux nécessaires à la complexité. La conséquence de cette expansion, c'est qu'il est froid, sombre et désolé (la densité en matière décroit).


"le silence éternel de ces espaces infinis" n’est donc qu'une conséquence du temps nécessaire à la nucléosynthèse stellaire. Pour nous, êtres vivants, c'est plutôt bon signe. Autre façon de voir les choses.



« L’Univers doit en un sens avoir su que nous arriverions »*



Rentrons dans le vif du sujet. Si on décortique les lois et constantes de notre Univers, celui-ci nous dévoile un visage pour le moins inattendu. Un endroit merveilleusement adapté au déploiement de la complexité organisée. C'est à dire ?



  • La production de carbone et d’oxygène en quantité suffisante au cœur des étoiles est déterminée par la force électromagnétique et la force nucléaire. Modifiez un tant soit peu une seule des deux forces, vous obtiendrez de grandes quantité de carbone ou d’oxygène mais jamais les deux à la fois : la chimie du vivant deviendrait impossible.

  • De même, la valeur de la constante gravitationnelle (G) permet aux éléments lourds d’exister : augmentez la et tout s’effondre, diminuez la et l’existence d’étoiles devient impossible.

  • Le rapport de la masse de l’électron et du proton est de 1/1836. Augmentez le et il ne peut y avoir de structures moléculaires ordonnées (c’est la petitesse de ce rapport qui garantit que les électrons occuperont des positions bien définies autour du noyau).

  • L’expansion de l’Univers est dans un état d’équilibre délicat. Un Univers en expansion trop rapide serait incapable d’agréger la matière en étoiles permettant l’existence de la chimie carbonée. Au contraire, un Univers connaissant une expansion trop lente finirait par voir la gravité triompher et s’effondrera en trous noirs bien avant le temps requis pour l’alchimie stellaire.

  • Le nombre de dimensions spatiales paraît tout aussi finement réglé : dans un monde à deux dimensions la création de réseaux complexes serait extrêmement limitée car les "chemins" ne pourraient se croiser sans se chevaucher. Dans des mondes à plus de trois dimensions aucun atome stable ne pourrait exister.



Le principe anthropique "faible"



Quelle interprétation tirer de ces données ? Au fond, est-il si surprenant que notre Univers soit bien adapté à la vie ?


Le physicien Brandon Carter est à l’origine de l’expression "principe anthropique faible" (au demeurant, l’adjectif "anthropique" est source de beaucoup de confusions puisque il suggère l’implication spéciale de l’homme. Ce qui n’est clairement pas le cas).


« Ce que nous devons nous attendre à observer doit être limité par la condition nécessaire à notre présence en tant qu’observateurs »


Qu’est-ce que ça veut dire ?


Tout simplement que le fait d’être un observateur de l’Univers limite déjà drastiquement le type d’Univers que vous pouvez vous attendre à observer. L’observateur n’est pas neutre, il sélectionne au préalable les conditions nécessaires à sa propre existence. Finalement, pourquoi s’étonner du réglage fin des constantes ? S’il n’en était pas ainsi nous ne serions pas là pour nous poser ce genre de questions ! Si j’existe c’est que les conditions permettant mon existence sont forcément avérées. CQFD !



Objections



Le principe anthropique ne serait-il qu’un mauvais tour de passe- passe ? Toutes ces coïncidences paraissent surprenantes au premier abord jusqu’à ce qu’on découvre le "truc". Fin de l’histoire, le mystère est-il vraiment éventé ?


Pas si sûr.


Que les propriétés de l’Univers soient en accord avec notre propre existence est une lapalissade, certes. Mais à quel point le sont-elles ? A quel point ces "réglages" autorisent-ils une modification dans leurs valeurs ?


Prenons le cas de la "densité critique", réglant l’expansion de l’Univers (comme signalé plus haut). Elle résulte d’un réglage incroyablement précis : de l’ordre de 1 divisé par 10 puissance 60 (l’astronome Trinh Xuan Thuan a calculé qu’il correspondait à la probabilité pour un archer de toucher une cible de 1 centimètre carré située à l’autre bout de l’Univers en tirant, à l’aveugle, une seule et unique flèche depuis la Terre, sans savoir dans quelle direction se trouve la cible).


Ce qui pose question n'est pas que l’Univers soit correctement ajusté, c’est qu’il le soit finement.


Le principe anthropique faible ne vise donc pas entièrement juste. Le philosophe John Leslie a parodié avec talent ce type de raisonnement :


« Un homme est amené devant un peloton d'exécution. Les douze soldats tirent. Le fracas retenti aux oreilles du condamné, qui réalise qu'il n'est pas mort. Il n'a pas été touché. Il s'étonne légitimement : il lui semble incroyable d'être vivant ; la probabilité que tous les tireurs manquent leur coup était très faible. Il imagine donc rapidement qu'un complot en sa faveur a été mis en place. L'hypothèse est rationnelle. Mais un esprit fort survient et tente de le détromper : "inutile d'imaginer un complot, tout cela n'a rien d'étonnant ; il est normal que tu constates que les tireurs ont raté leur coup, car la probabilité pour que tu constates qu'ils l'ont réussi est égale à zéro ! »



Pléthore de principes anthropiques



On a alors vu se multiplier différentes variantes du principe anthropique. Il est important de noter que le "principe anthropique" n’est pas à proprement parler "scientifique", il a plutôt à voir avec la philosophie des sciences. Récapitulons (la classification s’inspire de celle réalisée par Jean Staune) :



  • Le principe anthropique faible : du fait que nous existons nous pouvons en déduire certaines caractéristiques de l’Univers (Brandon Carter).

  • Le principe de "complexité" : les lois de l’Univers "conspirent" pour que la matière se complexifie de plus en plus (Hubert Reeves).

  • Le principe anthropique fort : l’Univers attendait sans doute notre venue (Freeman Dyson).

  • Le principe de conscience : l’émergence d’être conscients, quels qu’ils soient, est inscrite dans les lois de l’Univers (Trinh Xuan Thuan).

  • Le principe anthropique ultime : une fois que la vie intelligente est apparue les lois physiques lui permettent de subsister à jamais (Frank Tipler).

  • Le principe thanatothropique : la complexité n’est pas viable, l’autodestruction des civilisations avancées est inéluctable (Jean-Pierre Petit).



Limites



Il reste évidemment des questions en suspens, en fait le principe anthropique renferme implicitement beaucoup d’a priori. Essayons de les débusquer.


Nous sommes partis de l'idée que les constantes sont toutes indépendantes. Et si au contraire elles étaient déterminées par une "théorie du Tout" et donc absolument pas indépendantes ? Les constantes seraient dans ce cas déterminées à l’avance et non aléatoires. Déterminisme strict.


Et s’il existait non pas un seul mais un nombre astronomique d’Univers possédant chacun ses propres constantes ? On pourrait ici introduire un "principe de contingence" : nous sommes par "hasard" dans le seul qui possède les bonnes "lois".


La complexité organisée est-elle absolument impossible sans l’alchimie stellaire ? Des changements majeurs dans les lois physiques ont des conséquences qui restent difficiles à théoriser. Qu'appelle-t-on communément la "vie" ?


Et si les "constantes" de la nature n'étaient pas vraiment constantes ?


« Je pense qu’aucun scientifique ayant examiné les données ne manquerait d’en déduire que les lois de la physique nucléaire ont été délibérément conçues au regard de leurs conséquences au sein des étoiles… Si c’est le cas, alors mes bizarreries apparemment dues au hasard sont devenues les parties intégrantes d’un dessein bien profond. Si ce n’est pas le cas, nous sommes renvoyés à une monstrueuse série de coïncidences » Fred Hoyle


*Freeman Dyson

Créée

le 28 août 2021

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P. b.

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