La plus éprouvante de toutes mes lectures. Bravo « Lois de Manu », tu as battu le Veda dans mon top cauchemardesque. Au moins, maintenant que j'ai lu les deux textes hindous les plus arides, il ne reste que du bon devant moi: le Mahabharata, le Ramayana, les Puranas...

« Aride et éprouvant » ne signifie pas « mauvais ». En fait, il est stupide de donner une appréciation à une oeuvre qui n'a pas été écrite pour être dégustée comme un roman ou même comme un quelconque essai moderne. C'est un recueil de lois rédigé à l'intention d'une bande de joyeux drilles décédés depuis 2500 ans. L'intérêt d'approcher la chose aujourd'hui ? Un intérêt tout archéologique, comme suggéré dans mon titre...

J'ai déjà pas mal roulé ma bosse avec les hindouistes, mais il me faut avouer que les éléments fiables concernant la vie quotidienne de leurs ancêtres de l'Antiquité ne sont pas légion. Les « Lois de Manu » étaient une occasion à ne pas manquer. Même si ça m'a pris plusieurs mois... Alors bien sûr, il faut garder à l'esprit que, comme tout recueil de lois qui se respecte, les « Lois de Manu » ne décrivent pas une réalité fidèle mais plutôt un idéal. Or, l'idéal d'une civilisation nous renseigne déjà beaucoup sur ce qu'elle est.

Comment nous apparait donc l'Inde antique selon Manu ? Mesurée, sage, soucieuse du bien-être général, et aussi totalement et absolument hiérarchisée dans la moindre de ses idées, obsédée par la nomenclature, les classements et les listes de trucs à faire à presque chaque instant de la vie. Le plus grand des paradoxes de cette société semble donc tenir au fait qu'elle soit farouchement inégalitaire dans la forme et profondément égalitaire dans le fond. Cela tient à l'idée que toute chose et tout être est le reflet du même Absolu. L'existence devient de facto une quête de purification destinée à briser l'illusion de la vie pour éviter de se réincarner sans fin à travers les âges. Cependant, cette purification passe par un Ordre provisoire, douloureux mais nécessaire: le Dharma. Un ensemble de règles qui change totalement selon que l'on est une femme ou un homme, un jeune ou un vieux et, surtout, selon la caste dans laquelle on est né.

Les brahmanes, la plus haute caste, sont pratiquement divinisés, tandis que les Candala et autre hors-castes sont méprisés comme des chiens auxquels on ne peut souhaiter qu'une mort rapide. C'est l'un des rares exemples de réelle injustice et même d'illogisme du livre lorsque l'on sait que les hors-castes s'occupent de toutes les fonctions indispensables à la base de la société (crémation, exécution des criminels, tanneurs, bouchers...). Pourquoi le texte ne semble-t-il jamais conscient de cette importance capitale ? Pour tous les autres, cependant, les interactions sont richement définies. Il existe des êtres nettement considérés comme étant supérieurs ou inférieurs mais tous ont leur rôle à jouer, et un certain respect suinte donc des conseils bienveillants adressés aux plus forts, censés prendre soin des femmes, des enfants, des handicapés...

Chacun est destiné à une certaine façon de vivre dès sa naissance. Une réalité où le fait social et religieux ne font plus qu'un mais qui a le mérite de donner du sens à l'existence de la naissance à la tombe. Le parfait contraire de nos sociétés modernes où tout le monde est libre de tout faire pour nourrir son individualité, quitte à se perdre en chemin.

Une petite remise en perspective holiste comme celle offerte par les « Lois de Manu » ferait un bien fou au monde moderne occidental qui ne jure que par un égalitarisme déraciné de tout sentiment d'appartenance. Mais pas trop non plus, hein ? L'hindouisme reste tout de même un fascinant terreau d'exagération en de multiples domaines. Mais pour s'en rendre compte, il faut se farcir un document aussi fun à parcourir qu'un bottin téléphonique. Quelqu'un est tenté par l'expérience ?
Amrit
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Créée

le 21 févr. 2014

Modifiée

le 22 févr. 2014

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Amrit

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