Pas de quoi casser trois pattes à un dragon ...

Décevant et froid. C'est la sensation que nous laisse l'intégrale de l'oeuvre de Stephen Daes, "Les rois-dragons". Pourtant, l'auteur a mis en place des idées intéressantes, qui auraient pu faire de cet ouvrage un chef d'oeuvre de la Fantasy.

Ainsi, l'histoire se déroule de les 7 royaumes des rois-dragons, souverains chevauchant de puissantes et terribles montures. Ils sont gouvernés par un homme encore plus puissant, l'Orateur, vivant au Palais Adamantin. On finit par apprendre que les dragons ne sont pas de simples animaux, mais des créatures anciennes et intelligentes, ayant pratiquement détruit l'humanité autrefois, avant d'être domestiquées par les Hommes. Comment ? Grâce à une potion mystérieuse endormant leurs sens, leur instinct et leur mémoire, potion produite par les Alchimistes.

L'intrigue se déroule par la suite en 2 niveaux : d'une part, l'on suit les aventures du prince-dragon Jehal, un manipulateur incroyablement doué, et de son amante la princesse Zafir, encore plus impitoyable et cruelle que ce dernier. L'on rajoute dans la course la froide et sage reine du Nord Shezira (et ses filles la reine Almiri, la princesse Jaslyn et la princesse Lystra), et l'Orateur bientôt sortant Hyram. Tous sont pris dans la course au siège de l'Orateur, avec le lot d'intrigues et de complots que cela implique ...

D'autre part, alors que la Cour de la reine Shezira se rend au mariage de sa fille Lystra, avec le prince Jehal, ce dernier doit recevoir en cadeau de mariage un dragon blanc magnifique. Cependant, le convoi est attaqué en chemin, et le dragon disparaît. Plus tard, il croise la route de 2 mercenaires, Sollos et Kemir. Ce dernier deviendra bientôt pour le dragon blanc bien plus qu'un simple passager, puisque son esprit commence à s'éveiller, pour la 1ere fois depuis des siècles.

ALORS.

Avec une intrigue riche et des enjeux géopolitiques et militaires importants, "Les Rois-Dragons" avait toutes les clés en main pour devenir une véritable saga légendaire. Pourtant, l'oeuvre manque cruellement de chaleur (un comble pour un livre sur les dragons !) ...

La première critique est cette impossibilité pour Stephen Daes d'écrire des personnages auxquels on arriverait à s'identifier, à s'attacher, ou même que l'on pourrait détester. Les personnages sont tout simplement plats, froids, sans âme. Le lecteur arrive à voir qu'il devrait à la fois détester et admirer Jehal, haïr Zafir, respecter Shezira, craindre Neige ou plaindre Kemir ... Mais il ne le fait pas.

Les personnages sont tellement détachés du lecteur, que ce dernier s'en détache à son tour, donnant un récit certes intéressant, mais pas prenant ou haletant. Et au vu du potentiel de l'oeuvre, on ne peut que regretter que Stephen Daes ait négligé de travailler corps et âme le pilier central de son univers : les personnages.

D'autre part, le découpage des scènes et des actions est complètement saccadé, et parfois tellement maladroit et distant que l'on n'arrive plus à saisir l'oeuvre dans son ensemble. Les 2 actions principales (d'une part les intrigues de Cour, d'autre part la fuite de Neige le dragon blanc et sa rencontre avec un mercenaire) semblent parfois totalement détachées l'une de l'autre, au point que l'on en oublie qu'il s'agit d'une seule et même oeuvre. Heureusement pour lui, Daes réussi néanmoins parfois à semer habilement des indices dans l'une ou l'autre des intrigues, ce qui permet de garder le fil (bien que difficilement).

Enfin, et ce qui m'a le plus déçue personnellement : la fin est tout simplement bâclée. Au fur et à mesure de notre avancée dans l'oeuvre, ce qui (par la froideur des personnages) aurait pu éventuellement passer pour un traité fictif de géopolitique, se plonge dans l'univers du mystère et de la magie, soulevant de nombreuses questions : qui sont réellement les Alchimistes et quel est leur rôle ? Comment les dragons ont-ils été créés et pourquoi ? Qui sont leurs créateurs ? Qu'est-ce que la lance de l'Orateur, la "lance adamantine", possède réellement comme pouvoirs et qui peut en faire usage ? On trouve également trace de nombreux mythes, notamment au sujet d'un dragon blanc et de son écuyer, venus pour détruire le monde connu, "Justice et Vengeance". Quelle est la part de vérité dans ce mythe ? Qui sont vraiment les taytakeï ou les sorciers d'argents ? Pourquoi le dernier tome s'appelle "l'ordre des écailleux" alors qu'ils sont à peine présents dans l'oeuvre et qu'on n'apprend rien de plus à leur sujet ? Qui tire réellement les ficelles de tous ces mystères et pourquoi ? Pourquoi les créateurs des dragons sont partis en les livrant à eux-mêmes pendant des siècles ? Où étaient-ils ? Pourquoi reviennent-ils ? Pourquoi les dragons réveillés désirent-ils les détruire à leur tour et comment ?

En bref, de nombreuses questions sont vouées à demeurer sans réponse, et c'est bien là tout le problème des "Rois-Dragons". En effet, l'on réussi vaguement à comprendre certains détails via des indices trop peu nombreux, mais aucune réponse satisfaisante n'est données dans l'oeuvre, tant pour les personnages que pour le lecteur. Ainsi, lorsque l'on achève de lire les "Rois-Dragons", on a à la fois l'impression de se fiche complètement de /SPOIL\ la mort de la plupart des personnages importants de l'oeuvre, et celle de rester sur sa faim. Par de réponse à nos questions ? Alors on a lu tout ça pour pas grand chose ?

Pour conclure, il faut reconnaître que l'oeuvre a un potentiel et reste relativement divertissante. Peut-être aurait-elle dû être légèrement plus longue afin de pouvoir insérer les éléments de réponse attendus par le lecteur, ou la modifier pour retirer les passages de descriptions et monologues parfois complètement inutiles, pour y ajouter ce que le lecteur attend : savoir si les légendes au sujet des dragons et de leurs créateurs sont vraies ou non, et pourquoi. Et à moins que ces interrogations n'ouvrent la porte à une éventuelle suite, on ne le saura jamais.

Avec des personnages mieux travaillés, un récit mieux découpé, et une conclusion réellement achevées, "Les Rois-Dragons" aurait eu toutes les chances de devenir une véritable légende de la Fantasy. Malheureusement, il restera seulement médiocre.