Cette critique porte sur Lettres Écarlates de Anne Bishop, le premier roman du cycle de fantastique/romance intitulé Meg Corbyn.
En bref : l'humanité cohabite difficilement avec les Autres depuis des siècles : Loups métamorphes, Vampires, mais aussi Corbeaux et Élémenaires, autant de créatures capables de prendre l'apparence humaine. Là où ça se complique c'est que grosso modo cette cohabitation se résume au fait que les Autres se retiennent de trop manger les humains, surtout tant qu'ils restent chez eux. Chaque grande ville comporte une réserve, où, en pratique, ce sont les Autres qui surveillent les humains s'assurant que ceux-ci ne rompent pas de vieux accords (et donc puissent survivre). L'histoire est centrée sur Meg Corbyn, une prophétesse de sang : quand elle s'entaille les veines elle est capable d'avoir des visions plus ou moins précises de l'avenir. Cette capacité finira par la tuer, car comme une droguée elle est incapable de se retenir longtemps de s'entailler. Ayant passé des années dans un "centre" où les femmes comme elle n'étaient que des esclaves dont on vendait (cher) les pouvoirs, elle fini par s'échapper. Poursuivie et prête à tout pour ne plus retourner en cage, elle se rend au seul endroit ou aucun humain n'osera la toucher : la réserve des Autres. Eux en revanche c'est une autre histoire...
Globalement je suis imperméable au fantastique et aux sentiments d'horreur/peur qu'il est censé dégager. Pire, les romances qui sont associées au genre m'écœurent rapidement par leur mièvrerie inepte. En dépit de ces deux faits j'ai adoré Lettres Écarlates.
Tout d'abord il y a l'univers bâti par l'auteure. Il n'y a ici ni vampires en paillettes brillant au soleil, ni loups-garous au torse sculpté (et viril). Il y a d'un côté les Autres et de l'autre des Steaks sur pattes. Les premiers ont accepté de tolérer les seconds en échange d'une partie de leur technologie, mais c'est à peu près tout. Le gouvernement, la police et les humains lambda sont bien conscient de leur statut et ne font clairement pas les malins quand ils se retrouvent seuls avec un Loup faisant deux fois leur poids et susceptible de modifier encore un peu cet état de fait à grand coup de dents.
Ce qui est sympathique aussi c'est qu'Anne Bishop à prise un malin plaisir à aller à contrepied d'un certain nombre de clichés du genre. Mieux elle les moque allègrement. Par exemple, le chef de la réserve des Autres est un Loup du nom de Simon. Décidé (à contrecœur) à intégrer un peu les humains pour faciliter les échanges, il a ouvert une librairie et la clientèle humaine est acceptée. Évidemment comme c'est un Loup à l'apparence humaine, au côté mystérieux et dangereux etc... certaines clientes sont plus intéressées par lui que par la lecture. Et bien ce dernier s'en rend compte, les remballe joyeusement dans l'ensemble, et pire, fait même des blagues sur le fait qu'il devrait tuer/renifler l'entrejambe des clientes pour augmenter ses ventes. A raison en plus !
Autre point positif, les personnages. Meg a passé sa vie dans un endroit cloîtré et ne connait le monde que par les nombreuses images qu'on lui a montré pour qu'elle puisse mettre un nom sur ses visions. Elle est littéralement totalement innocente, naïve, et heureusement pour elle, gentille. Ces trois traits rendent possible une intégration aux Autres (pas sans frictions cependant). Les connaissant moins, eux et les histoires de massacres qui les entourent, elle a moins peur. Surtout quand elle pense à l'alternative de retourner au centre et à ses expériences qui la terrifient. Ce fait plus son inexpérience font qu'elle n'agit pas comme les autres humains et intéresse de ce fait les Autres, curieux. Sa bonté innée fait que pour une fois ils se disent qu'avoir quelqu'un qui fait son job vaut la peine de se retenir de casser la croûte, aussi agaçante puisse-elle être. Ce qui résume au final le personnage de Simon, véritablement inhumain comme tous les autres dans son comportement, c'est au final une bonne patte de chef, prêt à tout pour protéger les siens.
On signalera au passage un vieux et puissant vampire adepte de vieux films et dessins animés, Hiver une élémentaire à ne pas mettre en colère et des Corbeaux. Oui, selon moi les Corbeaux sont un des points fort du bouquin pour leur ressort humoristique et totalement décalé par rapport aux humains comme aux Autres. Observateurs attentifs, ils filent souvent des coups de mains (ou de bec) en échanges de trucs brillants qui ont tendance à disparaitre quand ils sont dans le coin. Des Autres dans l'ensemble fort sympathiques donc, sauf évidemment quand ils picorent des crânes humains.
Lettres Écarlates c'est non seulement l'histoire d'une cohabitation difficile entre plusieurs espèces, mais surtout celle d'une progression des personnages qui doivent se réinventer. Meg et Simon sans surprises vont se rapprocher, mais le caractère de chacun va suivre une lente évolution (et crédible pour une fois dans le genre). Commençant extrêmement mal ils vont finalement bâtir une relation de confiance assez surprenante. Les interactions entre eux et Sam le louveteau traumatisé par la mort de sa mère sont également rien racontées et touchantes par dans leur vulnérabilité.
Niveaux défauts, le scénario reste globalement assez prédictible, il ne faut pas se leurrer sur ce point. Cependant cela ne m'a absolument pas dérangé tant j'étais pris par l'univers et les personnages. Le style d'écriture est très fluide et ponctué de plein de (légères) touches d'humour qui contribuent à le rendre si agréable. Je fais donc une petite dédicace à ma petite sœur qui m'a offert ce livre et m'a réconcilié avec le fantastique (et c'était pas gagné...)
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