C'est un livre bref, mais synthétique, et d'utilité publique. Certains développements, notamment dans le premier chapitre, semblent superflus, mais ils prennent tout leur sens dans les développements des chapitres qui suivent. Il nous vient parfois à l'esprit, en lisant, des objections, remarques, observations complémentaires: à chaque fois, l'auteur y répond par la suite. C'est donc une œuvre brève, mais complète. Je lisais récemment le XIX siècle à travers les âges, de Philippe Muray. Je pense que ce nouveau livre du professeur Harouel complète parfaitement la théorie de Muray, en établissant la généalogie de la religion de l'humanité, dont l'occulto-socialisme de Muray, dans sa tendance irrésistible à l'égalisation d'universelle dans l'Un, un tout indivisible, n'est qu'une déclinaison.
Un ouvrage, par conséquent, fondamental, absolument nécessaire à la redéfinition des grilles de lecture de l'histoire des idées, qui nous éclaire sur les mutations passées, présentes, et à venir.
Voici les grandes idées, chapitre par chapitre, que j'ai relevées.


Chapitre 1 : Hugo contre la peine de mort: une escroquerie individuelle


Le dernier jour d'un condamné est une œuvre moins littéraire que propagandiste. Le récit ne s'intéresse qu'au criminel, sans que soient précisées les circonstances de sa condamnation (ni les faits commis, ni la victime, ne sont précisément mentionnés. On ne peut donc avoir que de la compassion pour le criminel. A aucun moment, la question de la justice n'est rationnellement posée; il n'est question que d'émotion, l'assassin étant fait victime de la société.
C'est l'héritage d'une vieille théorie d'après laquelle le mal ne pourrait qu'être extérieur à l'Homme. Le criminel n'est qu'une victime de discrimination, la société n'ayant su fournir aux pauvres une formation, un emploi... le crime est conséquence d'un déterminisme social à l'exclusion de tout libre arbitre.


Chapitre 2: La peine de mort, legs de la civilisation chrétienne


Le but du chapitre est de démontrer la compatibilité de l'idée de peine de mort avec le christianisme.


Le "Tu ne tueras pas" est un faux argument. Il ne s'applique qu'entre personnes privées, comme interdiction de la vengeance privée. La Bible, et pas que l'Ancien Testament fourmille d'exemples de mises à mort. C'est que le christianisme distingue le politique du religieux, la question de la répression pénale relevant du pouvoir politique. Il tolère que la justice terrestre mette à mort: si l'exécution de Jésus est vue comme injuste, ce n'est pas le cas de celle des deux voleurs. Ce n'est qu'au III-IV siècle qu'émerge un courant non violent, qui, introduisant dans les Evangiles l'épisode de la femme adultère, réprouve la peine de mort.
La peine de mort n'est, pourtant, pas incompatible avec le Salut de l'âme, comme l'illustre l'exemple de Jacques Fesh. La condamnation à mort d'un individu a pu permettre à celui-ci un retour sur lui-même, lui ouvrant la voie d'un repentir que lui aurait probablement interdit une peine d'emprisonnement, dont le défaut est de diriger l'énergie de l'individu uniquement vers le moyen d'en sortir au plus vite.
Cependant, un essor de religiosité humanitaire provoque un recul de la foi chrétienne, et donc de la légitimité chrétienne, qui, attachée au libre-arbitre, y reste liée.


Chapitre 3: Religion des Droits de l'Homme et abolition de la peine de mort


S'il est clair qu'en Europe occidentale, la religion a connu un net recul, ce n'est pas le cas du sacré, toujours présent par le biais des religions séculaires. Ainsi, comme l'observait Regis Debray, "La doctrine des droits de l'homme est la dernière en date de nos religions civiles". D'un ensemble de libertés publiques, les droits de l'homme sont devenus une liste de droits subjectifs visant à combattre les discriminations, dans le sens du projet de religion de l'humanité visant à l'aplatissement total de la société, d'égalisation de tous les hommes.
Cette religion de l'humanité est un historicisme, consistant à concevoir l'histoire comme un lent mais sûr progrès vers le bonheur des hommes.
Le communisme, dans sa chute, passe le flambeau à l'autre religion séculière que sont les droits de l'homme, deux idéologies ayant en commun un projet de réalisation de salut terrestre universel. Ce sont deux déclinaisons de la religion de l'humanité, cosmopolite par nature.
Mêlant spirituel et politique, la religion de droits de l'homme oblige chacun à aimer l'autre. Aller contre, c'est blasphémer: "Tout cela relève d'un totalitarisme feutré mais bien réel et paralyse les capacités de résistance des sociétés européennes". "L'autre", c'est plus largement l'ensemble des groupes s'estimant victimes de discriminations, et parmi ces groupes, celui des criminels. "Ayant pour prêtres les hauts magistrats, la religion des droits de l'homme fonde le gouvernement des juges et celui-ci la renforce". L'Etat est infiltré; le droit dénaturé, car traditionnellement, ceux-ci sont gardiens de la sécurité des gouvernés, de l'innocent. Mais aujourd'hui, l'idéologie anti-pénale, dans sa priorité donnée à l'Autre, favorise le criminel (Défense sociale nouvelle): l'insécurité s'en trouve favorisée.
C'est que les droits de l'homme, comme le communisme, seraient indifférents à la différence traditionnelle entre le bien et le mal. D'après Raymond Aron, en effet, ces religions séculières redéfinissent cette distinction par rapport à leur seul objectif premier, la seule utilité. Les moyens d'y parvenir importent peu (machiavélisme). Dans les deux cas, le but est, au fond, l'égalité de tous les hommes, et notamment la mort de toute discrimination. Donc discriminer c'est mal; ne pas le faire, c'est bien. Là s'arrête la distinction entre bien et mal. Or, l'embryon, ainsi que l'euthanasié, ne sont pas protégés par la religiosité des droits de l'homme, car fondamentalement, ils ne sont pas victimes de discriminations, contrairement aux criminels...


Chapitre 4: Gnose, millénarisme, et amour des criminels


La religion des droits de l'homme est héritière des hérésies chrétiennes gnostiques et millénaristes.
La gnose défend la part de divinité dans l'homme spirituel. La matière est la création mauvaise d'un mauvais Dieu. L'homme peut donc s'abandonner pleinement au vide du corps, tant que l'âme a conscience de sa divinité, conscience qui a elle seule, est source de salut. C'est une dissociation radicale de l'esprit et de la matière, qui remet en cause toutes les conceptions traditionnelles de bien et de mal, la répudiation de toutes les conventions, de la patrie, de la famille.
Pour les millénaristes, le royaume de Dieu doit être terrestre, et sera instauré par l'égalité de tous les hommes, peu importe le moyen pour y parvenir. "Le millénarisme a été la matrice première des socialismes. C'est de lui que vient l'idée du paradis sur la terre, de l'avenir radieux, qui inspira tant l'idéologie révolutionnaire"
Joaquim de Flore préfigure l'alliance des deux mouvement. Avec la littérature utopiste de la Renaissance, il y a sécularisation du gnosticisme millénariste, par l'abandon du religieux au profit d'une humanité divinisée.
Pour les deux courants, le mal n'est pas interne à l'homme (il vient du corps pour la gnose, de la matière; pour le millénarisme, il vient de l'injustice de l'organisation sociale).
Dans la droite lignée de Marcion, on proclame l'amour (de l'autre) sans l'idée de justice (rejet de la justice, produit des conventions morales, trop attachées à la matière, ou à l'injustice sociale).
C'est que ces hérésies rejetant en général l'Ancien Testament, rejettent les enseignements du Décalogue, porteurs de justice, pour ne garder que les enseignements des Evangiles (l'amour de l'autre): on a donc l'amour de l'autre, sans justice.


Chapitre 5: Résister à la phobie de la peine de mort


Peine de mort et humanisme ne sont pas incompatibles.
Les humanistes du XVIe siècle ne demandent pas l'abolition.
Après Augustin, les théories du contrat social vont défendre la peine de mort, au motif, que le criminel se place hors de la société, déclarant la guerre à celle-ci.
Ce n'est pas la peine de mort, mais l'idée de justice, qu'il s'agit d'aimer, et de défense avant tout. L'aversion pour la peine de mort ne concerne que les civilisations post-chrétiennes. Elle n'a rien d'universel, comme la religion des droits de l'homme.

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le 19 déc. 2019

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