"Madame S" de Sylvie Lausberg : Marguerite Steinheil, femme d'hier et d'aujourd'hui ?

Rejouer le cours de la vie de la « sulfureuse » Marguerite Steinheil, c’est le point de départ fort et assumé par l’historienne et psychanalyste belge Sylvie Lausberg. Dans Madame S, paru aux éditions Slatkine & Cie, Sylvie Lausberg mène l’enquête. Entre roman et essai, qu’est-ce que ça donne ?


La bande-annonce


C’est une histoire bien française. Le 16 février 1899, à l’Élysée, Félix Faure s’étouffe de plaisir dans les bras de sa maîtresse, une certaine Mme Steinheil. « Le Président a-t-il encore sa connaissance ? Non, elle est sortie par l’escalier de service. » Clemenceau commente : « Il se voulait César, il ne fut que Pompée. »


Mais qui était cette mystérieuse Madame S ?


Assurément pas une cocotte. Héritière d’une grande famille d’industriels protestants, mariée trop jeune à un peintre trop vieux, Madame S est alors la coqueluche du Tout-Paris politique. Sur fond d’affaire Dreyfus, elle se rapproche de Félix Faure et s’installe au coeur du pouvoir et des secrets d’État. Après la mort du Président, elle disparaît. On la retrouve neuf ans plus tard, accusée du meurtre de sa mère et de son mari. Elle est emprisonnée, jugée, innocentée. Disparaît encore. Épouse un lord anglais, s’installe à Brighton et finit enlevée au Maroc…


Sa vie est un roman.


L’avis de Lettres it be


La mort du président Félix Faure après une « étreinte » fatale, une terrible accusation de meurtres des années plus tard, un mariage discret pour clôturer l’épopée, le tout sur fond d’Affaire Dreyfus… De toute évidence, l’incroyable trajectoire de Marguerite Steinheil valait bien un roman : c’est chose faite. Mais avant tout, Madame S est le résultat de plus de 20 ans d’enquête, un travail de fourmi pour réunir tous les documents possibles et imaginables. Et quelle jolie coïncidence pour Sylvie Lausberg que d’habiter un temps la maison de la célèbre journaliste Séverine, l’une des premières femmes à peser sur la scène médiatique d’alors. Sauf que…


Oui, Madame S est une somme monumentale de travail. Mais très vite, cela ne suffit plus et le livre se débat avec des considérations d’aujourd’hui, parfois très fragiles, faisant passer le sujet central au second plan. Morceaux choisis.


« Misogynie et antisémitisme vont souvent de pair ; en tout cas, ils traversent les pages de L’Œuvre, cette feuille polémiste à laquelle Séverine prête sa plume précisément au moment où tout va basculer pour Meg. »


« L’identité masculine en crise désigne les femmes, les féministes comme responsables de la décadence des mœurs qui précéderait celle des nations. Rien de nouveau sous le soleil. L’antiféminisme est un corollaire du nationalisme trempé aux sources du patriarcat. »


Cette volonté de réhabilitation assumée de « Meg » est-elle le paravent d’un discours politique contemporain ? À plusieurs endroits dans le livre, on est surpris à regretter que Sylvie Lausberg en profite pour injecter discrètement dans l’esprit du lecteur des liens entre hier et aujourd’hui, faisant de Marguerite Steinheil une énième victime expiatoire du sexisme moderne, assumant la rétroactivité de nos maux. Le cœur du proposesemble se déplacer petit à petit et on ne sait plus vraiment qui des pensées de l’auteure ou de Marguerite Steinheil est le point où doit converger notre intérêt de lecteur.


Malheureusement, la condition des femmes, dramatique lors de trop nombreuses époques, dramatique encore aujourd’hui, cette condition-là n’a que faire de ces ponts inexistants qui ne visent qu’à ajouter du mal au mal. Chaque souffrance est unanime et l’accumulation bavarde devient cosmétique face aux actes à mener tout de suite. Apprenons ce que Marguerite Steinheil veut nous dire de son époque, pas ce que l’on veut qu’elle dise de la nôtre.


C’est triste mais Madame S ne convainc pas. L’ampleur incroyable de l’enquête proposée dans ce livre ne parvient pas à masquer ce qui semble être une tentative de réhabilitation en bonne et due forme. Tentative subjective d’ailleurs pleinement assumée par l’auteure devenue juge à l’instinct commandé…


« Je n’ai pas résolu le « Mystère de l’impasse Ronsin ». J’ai, au mieux, essayé de prouver son innocence et tenté d’éclairer l’image d’elle qu’on avait sciemment noircie. »


Le temps donnera peut-être à Sylvie Lausberg le sceptre de la vérité mais, en attendant, ce travail fourmillant ne dépasse pas le sombre habit de la subjectivité et d’une Histoire regardée avec des yeux modernes, trop modernes. Dommage.


Retrouvez la chronique en intégralité sur Lettres it be : https://www.lettres-it-be.fr/critiques-de-romans/auteurs-de-k-%C3%A0-o/madame-s-de-sylvie-lausberg/

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le 13 mai 2020

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