Main Street est incontestablement la réadaptation américaine et contemporaine de l'oeuvre la plus célèbre de Flaubert, Madame Bovary. Transporté.e dans le fin fond du Minesotta, le/la lecteur.ice se trouve plongé.e dans l'ennui de la "ville" de Gopher Prairie. Carol, le personnage principal du roman est extirpée de Saint-Paul et de son métier de bibliothécaire pour suivre son mari médecin, Will Kennicott. Alors qu'elle pense suivre un scientifique chevronné qui fait la renommée de la ville, elle se rend subitement compte qu'il ne s'agit que d'un guérisseur plus prompt à rassurer sa patientèle qu'à administrer de solides opérations chirurgicales. De désillusions en déceptions, Carol se démène pour introduire des idées progressistes dans une ville conservatrice. Fortifiée par ses diverses lectures, elle s'imagine réformer une ville dont le nom n'est que la traduction anglaise de "chien de prairie". Progressivement, Carol s'entâche du "mal du village" qui ronge l'Américaine typique : elle devient une mère de famille dont les seules préoccupations, outre son fils, sont ses balades quotidiennes et le soin qu'elle apporte à son mari.
Carol n'est pas une asservie du foyer comme les autres : consciente qu'elle était destinée à d'autres projets et à une carrière brillante qui lui permettrait de s'émanciper, elle nourrit, tout au long du récit, un désir inassouvi de changement. Le/la lecteur.ice, impatient.e qu'elle prenne sa revanche, attend l'envol de la captive. Hélas, malgré sa ténacité et de solides tentatives, Carol restera la femme d'intérieur vivant dans le huis clos de la Grand Rue et s'abaissant à des futilités qu'elle exècre.
Publié en 1920, Sinclair Lewis dresse un portrait fidèle de l'Ennui ressenti par l'Américaine assoiffée d'indépendance. Les différents niveaux de lectures permettent au lecteur et à la lectrice de percevoir l'humour cinglant d'un auteur qui n'hésite pas à piquer la société de son temps avec un regard aussi acéré que progressiste. Si Emma Bovary connaît une fin tragique, celle de Carol, en apparence moins dramatique, n'en est pas toute aussi malheureuse : nul changement possible, nulle issue, elle restera prisonnière de Gopher Prairie.
Consciencieux, Sinclair Lewis ne lésine pas sur la richesse de descriptions et digressions bienvenues pour saisir toute la complexité du personnage de Carol, tranchant avec le vide des personnages de papier qui composent son entourage. De même, cela permet de tronquer le sentiment d'enfermement procuré par la Grand Rue, théâtre de la plupart des actions du roman. Alors que le récit, en quelques 700 pages, nous relate seulement 3 ans de la vie du personnage principal, c'est cette même densité qui permet au mieux de saisir l'Ennui de l'American Way of Life des États-Unis de l'après-guerre ; Carol ne pourrait que se réjouir d'avoir servi de modèle et d'avoir été l'épicentre d'un roman qui bouscule autant qu'il passionne.