J’ignore si tous les livres sont le reflet de ceux qui les écrivent, mais si Manu militari ? était une personne, ce serait quelqu’un d’honnête, qui aime savoir de quoi il parle et réfléchir à ce qu’il fait. Le propos de cette centaine de pages est clair : « comprendre » l’armée française, « ou du moins ne pas trop se méprendre à son sujet » (p. 7). Il ne s’agit pas d’un manifeste, encore moins d’un pamphlet, mais d’un documentaire : l’auteur est en effet parti du principe que « Ce qui domine aujourd’hui dans les milieux radicaux, anars et autres, c’est d’abord un désintérêt pour le sujet et, à la différence des générations précédentes, une profonde méconnaissance de celui-ci » (p. 12).
Le texte a le mérite de la clarté, de la documentation et de la mesure, bien qu’il prenne parfois des allures militantes – ce côté les anars parlent aux anars : « la révolution nous semble rester une possibilité. Et si l’armée, quelle qu’en soit la raison, se prépare à la guerre, elle sera en face de nous dans le futur » (p. 90). Ainsi, l’optique de lutte des classes dans laquelle il s’inscrit, et qui fait parfois sourire sans condescendance (« le militaire occidental ressemble au travailleur occidental : très coûteux, très qualifié, il a une productivité largement supérieure », p. 59) a beau réduire fatalement sa portée, elle a le mérite de couper court à un certain nombre de fantasmes. Ainsi l’auteur rappelle-t-il qu’en France « une répression sanglante n’est pas aujourd’hui nécessaire pour mâter [sic] le prolétariat ; un flicage classique, la peur du chômage, l’appareil médiatique de la bourgeoisie et la croyance dans les vertus de la démocratie suffisent pour l’instant » (p. 75).
De même il n’est jamais inutile de lire, à propos d’une guerre civile en France dont « certains […] rêvent, imaginant déjà la confrontation entre deux camps qui, dans la réalité, seraient celui des prolétaires issus de l’immigration nord-africaine et subsaharienne, et celui des prolétaires non issus d’une immigration extra-européenne », que « C’est imaginer bêtement. Si un camp ne se forme jamais seul, une guerre civile dans un pays comme la France en compterait bien plus de deux et n’auraient pas une telle homogénéité. Comme dans toute guerre le prolétariat serait présent dans chaque camp, sous forme de chair à canon, mais ses intérêts ne seraient défendus dans aucun – il se trouvera néanmoins des militants pour expliquer le contraire. Un tel conflit serait surtout l’occasion pour le prolétariat de renouer avec des années de Semaine sanglante… sans même entrevoir la Commune. » (p. 86-87).
Certes, le texte aurait pu être plus étoffé : sans parler des milliers de pages que nécessiterait une enquête de référence sur le sujet, l’ouvrage aurait sans doute gagné à développer certaines réflexions, notamment en appliquant au langage les mêmes salutaires distinctions qu’il applique aux concepts : c’est une chose, par exemple, de dire que « Théoriquement, le travail du militaire est de distinguer, y compris au sein de la population, combattants et non-combattants ; alors que celui du policier est de réprimer cette population au quotidien » (p. 94-95), c’en aurait été une autre de repérer quelles idées se cachent derrière les termes travail, militaire, combattants, non-combattants ou réprimer. Mais Manu militari ? est déjà plein de qualités.

Alcofribas
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le 31 juil. 2018

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