Niki de Saint Phalle (1930-2002), artiste reconnue pour ses superbes femmes voluptueuses et colorées, mais aussi pour ses œuvres à la carabine, fut aussi une petite fille abusée par son père. L'été de ses douze ans, dans une maison de vacances à quelques heures de New York. Ce livre est un cahier, celui dans lequel elle raconte sous forme de lettre à une certaine Laura, comment ce banquier digne et honorable la viola.
C’est un livre très court et d’un format bande dessinée (24x30), pages cartonnées, épaisses. Très aéré, l’écriture est enfantine et très franchement si comme moi, on n'a pas lu la quatrième de couverture et on ne sait pas de quoi il retourne, on se demande l’intérêt d’un tel ouvrage jusqu’à ces mots dès la cinquième page : "Ce même été, mon père –il avait 35 ans, glissa sa main dans ma culotte comme ces hommes infâmes dans les cinémas qui guettent les petites filles." Et puis, il n’en restera pas là. Cet été fut un calvaire pour Niki. Mais la suite ne fut pas plus facile. Dans ce monde il ne faut rien dire, son père est respectable et respecté. Même des années plus tard, "Les psychiatres ainsi, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le crime dont j’avais été victime, prenaient inconsciemment le parti de mon père. Selon eux, aucun homme ne pouvait être blâmé de ne pas avoir pu résister à la séduction perverse d’une petite fille."
Et alors, l’on se dit que non seulement, contrairement aux premières impressions avant lecture, ce livre est nécessaire et utile, mais qu’en plus cette forme particulière, la reproduction d’une écriture enfantine, les lettres dessinées en forme de serpents, la brièveté du texte, tout cela donc en fait sa force. Tout cela renforce l’innocence de cette petite fille abusée et ses difficultés à en parler à des gens qui la comprennent et la conseillent et la soignent.
Voilà, comme quoi, une impression mitigée peut être totalement retournée par un livre, tant par sa forme –regardez cette belle couverture symbolique- que par le contenu, profondément émouvant, glaçant et révoltant.
Très belle réédition des éditions de la différence.