Une Etude à la Poivrière rouge
Monsieur Lecoq est un roman d’Emile Gaboriau publié en 1869. Ce dernier est traditionnellement considéré comme étant le père du roman policier, conjointement avec Edgar Allan Poe et sa « trilogie du chevalier Auguste Dupin » (années 1840). Son œuvre est aussi connue pour avoir largement inspiré Sir Arthur Conan Doyle dans la création du personnage de Sherlock Holmes.
A noter que le roman est divisé en deux parties : « L’Enquête », qui présente les faits et les investigations, puis « L’Honneur du nom », qui fait office de flashback explicatif.
Le style de Gaboriau est plutôt vivace, rapide, ce qui se retranscrit à la fois dans la structure scénaristique du récit mais aussi dans le comportement de son agent de police.
- En effet, l’intrigue principale est exposée dès l’incipit, si bien que l’on se retrouve immédiatement au cœur de l’enquête. Par la suite, le rythme des investigations est effréné, chaque piste étant ardemment explorée. Gaboriau a aussi eu l’intelligence de ne pas faire apparaître tous les personnages secondaires en même temps, de sorte que leurs descriptions, brèves, sont bien réparties tout au long du récit. Ces techniques narratives contribuent toutes à maintenir une certaine vélocité de l’intrigue et à ne pas ralentir le rythme du roman.
- Concernant Lecoq, son paraître nous est décrit de façon peu avantageuse (« presque imberbe, pâle, avec la lèvre rouge ») mais de nombreux adjectifs mélioratifs sont utilisés pour décrire son être (« ses moindres mouvements trahissaient une vigueur peu commune », « l’œil, qui […] s’étincelait ou s’éteignait comme le feu d’un phare à éclipses »). Cette description présuppose un détective qui n’hésite pas à aller au-delà des apparences, avec une certaine rapidité d’esprit, et une méthode d’investigation fondée sur l’analyse et sur la déduction. En bref, un détective Intelligent.
Le second point fort du roman réside dans le caractère mais surtout l’importance des protagonistes. Il n’y a que très peu de personnages « secondaires » puisque chacun joue un rôle clé dans la progression et dans le dénouement du récit. Même si l’on assiste à quelques raccourcis bien connus (le père Absinthe, caricature du brave policier, peu inspiré mais bon compagnon, ou la comtesse de Courtomieu, noble aveuglée par un désir de reconnaissance et de notoriété), tous les personnages sont prépondérants et aucun n’est superflu.
Enfin, au-delà du simple roman policier, Gaboriau nous livre une analyse des conditions sociales de son époque et n’hésite pas à émettre certaines critiques virulentes, en filigrane. Parmi les thèmes abordés, on peut noter :
- Le conflit persistant entre les pro-Louis XVIII et les pro-Buonaparte ;
- Les inégalités sociales criantes : « Une croûte de pain frottée d’oignon le matin, une écuellée de soupe le soir, et pour la nuit une botte de paille » / « Tantôt il semblait tâter du bout du pied l’épaisseur du tapis, tantôt il se penchait sur les meubles comme pour en éprouver le moelleux. Par moments, il s’arrêtait brusquement devant un des tableaux de maître qui cachaient les murs ou devant quelque bronze… » ;
- Les passe-droits accordés aux plus riches : « Sachez de lui ce qu’il préfère, ou de la révision, ou de sa grâce pure et simple. S’il se décide pour un nouveau jugement, j’aurai pour lui un sauf-conduit de Sa Majesté » ;
- L’ambiance de terreur que font subit les nobles aux paysans, en témoigne l’épisode des commissions militaires : « C’est pourquoi, le lendemain, les funèbres roulements du tambour se firent encore une fois entendre, et les six condamnés – dont deux reconnus innocents – furent conduits sou les murs de la citadelle et fusillés à la même place où, sept jours auparavant, étaient tombés les quatorze malheureux qui les avaient précédés dans la mort … ».
Le seul reproche que l’on pourrait émettre à ce livre concerne sa structure même. Cette séparation en deux parties coupe l’élan du récit et casse le rythme de l’ensemble. Il s’agit de commencer une seconde histoire sans avoir eu tous les tenants et les aboutissements de la première.
Emile Gaboriau est aussi célèbre pour avoir inspiré Sir Arthur Conan Doyle dans la création de son personnage de Sherlock Holmes. Plusieurs similitudes flagrantes peuvent être repérées.
- Dans la construction du roman. La séparation en deux parties, l’une consacrée à l’enquête, la seconde aux racines de la problématique, se retrouve dans Monsieur Lecoq, comme exposé précédemment, mais aussi dans le premier roman mettant en scène Sherlock Holmes, Une Etude en Rouge (1887). Au-delà du personnage, on peut donc supposer que Sir Conan Doyle s’est aussi inspiré de la structure construction romanesque de Monsieur Lecoq.
- Dans le physique des deux détectives : « l’œil, qui […] s’étincelait ou s’éteignait comme le feu d’un phare à éclipses » pour Lecoq, « ses yeux étaient aigus et perçants » pour Sherlock Holmes.
- La devise adoptée : « se défier surtout des apparences, croire précisément le contraire de ce qui paraîtra vrai ou seulement vraisemblable » pour Lecoq, « lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela paraisse, doit être la vérité » pour Sherlock Holmes (Le Signe des Quatre). On pourrait aussi citer l’implication physique des deux détectives lors des investigations, la manière de déduire etc.
Enfin, Sir Conan Doyle n’hésite pas à faire référence à Gaboriau, par l’intermédiaire de Watson et du (déjà) très humble Holmes, dans l’enquête Une Etude en Rouge :
« - Avez-vous lu les ouvrages de Gaboriau ? Lecoq approche-t-il de votre idée d’un détective ?
Sherlock Holmes eut un mouvement ironique.
- Lecoq, dit-il d’un ton irrité, Lecoq était un gaffeur. Il n’avait qu’une chose en sa faveur : son énergie. Ce livre m’a positivement rendu malade. Il s’agissait d’identifier un prisonnier inconnu. Je l’aurais fait, moi, en vingt-quatre heures. Lecoq y a mis six mois ou presque. Cet ouvrage pourrait constituer à l’usage des détectives un livre élémentaire destiné à leur apprendre ce qu’il faut éviter ».
Pour conclure, il s’agit d’un très bon roman, tant du point de vue narratif que de sa portée historique. Pour tout amateur ou passionné de roman policier, l’œuvre de Gaboriau est une étape incontournable afin de mieux saisir les évolutions de la littérature policière, de ses origines à aujourd’hui.
A noter que le roman est divisé en deux parties : « L’Enquête », qui présente les faits et les investigations, puis « L’Honneur du nom », qui fait office de flashback explicatif.
Le style de Gaboriau est plutôt vivace, rapide, ce qui se retranscrit à la fois dans la structure scénaristique du récit mais aussi dans le comportement de son agent de police.
- En effet, l’intrigue principale est exposée dès l’incipit, si bien que l’on se retrouve immédiatement au cœur de l’enquête. Par la suite, le rythme des investigations est effréné, chaque piste étant ardemment explorée. Gaboriau a aussi eu l’intelligence de ne pas faire apparaître tous les personnages secondaires en même temps, de sorte que leurs descriptions, brèves, sont bien réparties tout au long du récit. Ces techniques narratives contribuent toutes à maintenir une certaine vélocité de l’intrigue et à ne pas ralentir le rythme du roman.
- Concernant Lecoq, son paraître nous est décrit de façon peu avantageuse (« presque imberbe, pâle, avec la lèvre rouge ») mais de nombreux adjectifs mélioratifs sont utilisés pour décrire son être (« ses moindres mouvements trahissaient une vigueur peu commune », « l’œil, qui […] s’étincelait ou s’éteignait comme le feu d’un phare à éclipses »). Cette description présuppose un détective qui n’hésite pas à aller au-delà des apparences, avec une certaine rapidité d’esprit, et une méthode d’investigation fondée sur l’analyse et sur la déduction. En bref, un détective Intelligent.
Le second point fort du roman réside dans le caractère mais surtout l’importance des protagonistes. Il n’y a que très peu de personnages « secondaires » puisque chacun joue un rôle clé dans la progression et dans le dénouement du récit. Même si l’on assiste à quelques raccourcis bien connus (le père Absinthe, caricature du brave policier, peu inspiré mais bon compagnon, ou la comtesse de Courtomieu, noble aveuglée par un désir de reconnaissance et de notoriété), tous les personnages sont prépondérants et aucun n’est superflu.
Enfin, au-delà du simple roman policier, Gaboriau nous livre une analyse des conditions sociales de son époque et n’hésite pas à émettre certaines critiques virulentes, en filigrane. Parmi les thèmes abordés, on peut noter :
- Le conflit persistant entre les pro-Louis XVIII et les pro-Buonaparte ;
- Les inégalités sociales criantes : « Une croûte de pain frottée d’oignon le matin, une écuellée de soupe le soir, et pour la nuit une botte de paille » / « Tantôt il semblait tâter du bout du pied l’épaisseur du tapis, tantôt il se penchait sur les meubles comme pour en éprouver le moelleux. Par moments, il s’arrêtait brusquement devant un des tableaux de maître qui cachaient les murs ou devant quelque bronze… » ;
- Les passe-droits accordés aux plus riches : « Sachez de lui ce qu’il préfère, ou de la révision, ou de sa grâce pure et simple. S’il se décide pour un nouveau jugement, j’aurai pour lui un sauf-conduit de Sa Majesté » ;
- L’ambiance de terreur que font subit les nobles aux paysans, en témoigne l’épisode des commissions militaires : « C’est pourquoi, le lendemain, les funèbres roulements du tambour se firent encore une fois entendre, et les six condamnés – dont deux reconnus innocents – furent conduits sou les murs de la citadelle et fusillés à la même place où, sept jours auparavant, étaient tombés les quatorze malheureux qui les avaient précédés dans la mort … ».
Le seul reproche que l’on pourrait émettre à ce livre concerne sa structure même. Cette séparation en deux parties coupe l’élan du récit et casse le rythme de l’ensemble. Il s’agit de commencer une seconde histoire sans avoir eu tous les tenants et les aboutissements de la première.
Emile Gaboriau est aussi célèbre pour avoir inspiré Sir Arthur Conan Doyle dans la création de son personnage de Sherlock Holmes. Plusieurs similitudes flagrantes peuvent être repérées.
- Dans la construction du roman. La séparation en deux parties, l’une consacrée à l’enquête, la seconde aux racines de la problématique, se retrouve dans Monsieur Lecoq, comme exposé précédemment, mais aussi dans le premier roman mettant en scène Sherlock Holmes, Une Etude en Rouge (1887). Au-delà du personnage, on peut donc supposer que Sir Conan Doyle s’est aussi inspiré de la structure construction romanesque de Monsieur Lecoq.
- Dans le physique des deux détectives : « l’œil, qui […] s’étincelait ou s’éteignait comme le feu d’un phare à éclipses » pour Lecoq, « ses yeux étaient aigus et perçants » pour Sherlock Holmes.
- La devise adoptée : « se défier surtout des apparences, croire précisément le contraire de ce qui paraîtra vrai ou seulement vraisemblable » pour Lecoq, « lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable que cela paraisse, doit être la vérité » pour Sherlock Holmes (Le Signe des Quatre). On pourrait aussi citer l’implication physique des deux détectives lors des investigations, la manière de déduire etc.
Enfin, Sir Conan Doyle n’hésite pas à faire référence à Gaboriau, par l’intermédiaire de Watson et du (déjà) très humble Holmes, dans l’enquête Une Etude en Rouge :
« - Avez-vous lu les ouvrages de Gaboriau ? Lecoq approche-t-il de votre idée d’un détective ?
Sherlock Holmes eut un mouvement ironique.
- Lecoq, dit-il d’un ton irrité, Lecoq était un gaffeur. Il n’avait qu’une chose en sa faveur : son énergie. Ce livre m’a positivement rendu malade. Il s’agissait d’identifier un prisonnier inconnu. Je l’aurais fait, moi, en vingt-quatre heures. Lecoq y a mis six mois ou presque. Cet ouvrage pourrait constituer à l’usage des détectives un livre élémentaire destiné à leur apprendre ce qu’il faut éviter ».
Pour conclure, il s’agit d’un très bon roman, tant du point de vue narratif que de sa portée historique. Pour tout amateur ou passionné de roman policier, l’œuvre de Gaboriau est une étape incontournable afin de mieux saisir les évolutions de la littérature policière, de ses origines à aujourd’hui.
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le 8 sept. 2014
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