A notre époque qui a plutôt tendance à déclasser les usagés, les cabossés et les vieux marqués par l’empreinte du temps, Il fallait oser écrire un roman policier mettant en scène la flic, Harbinder Kaur, Sikh et efficace (convaincante, elle avait déjà fait parler d’elle dans Le journal de Claire Cassidy de la même autrice, Elly Griffiths) à côté d’un trio d’amateurs, Natalka, réfugiée ukrainienne, auxiliaire de vie le jour, vigie de cryptomonnaies la nuit, Benedict, moine défroqué et cafetier en bord de mer et Edwin, nœud pap rose et ancien journaliste ployant sous ses quatre-vingts balais.
Ce mélange des genres, des passés, des compétences peut étonner. Mais il va surtout être détonnant et faire exploser les vérités et le fin fond de cette histoire à tiroirs de mortelles dédicaces. Un roman qui se situe à la fois dans le monde du mystère cher à Christie et dans la parodie assumée des maisons d’éditions, de leurs thrillers (admirez la couverture !) et des séries télés qui sont évoqués avec humour et tendresse. Un bon roman, moment de détente à prendre en suivant la plume d’Elly Griffiths qui donne une impression de facilité, d’histoire évidente tant l’agencement des prises et pertes de contrôle sur l’enquête, la description des sentiments des protagonistes et l’articulations des éclats de vérité sont magistralement maîtrisés.
Peggy, vieille pensionnaire d’une résidence service est découverte morte dans son fauteuil. Apparemment, à quatre-vingt-dix ans, elle s’est paisiblement endormie entre un temps de mots croisés et une observation de ce bord de mer qui est la vue magnifique qui s’offre à sa fenêtre. Une fin comme on en rêverait tous, non ?
Mais pour Natalka qui range sa chambre et les nombreux romans policiers de la défunte, des indices la poussent à croire au meurtre. Pourquoi le fils de Peggy est-il si pressé de vider l’appartement et de faire disparaître la vie de sa mère ? Et pourquoi toutes ces dédicaces et ces remerciements adressés à Peggy par tous ces écrivains qui n’auraient jamais réussi, semble-t-il, à terminer leurs livres sans elle ? Sottise de la part de cette réfugiée politique ? Lubie, manière de se montrer intéressante ? L’enquêtrice Harlinder Kraut ne le pense pas. Il lui faut tirer cela au clair.
Et, avec l’appui du trio de décalés, l’enquête va se monter, en parallèle et en symbiose. Tout y est pesé, mesuré, placé sous les yeux du lecteur à bon escient. On se laisse happer par ce récit. On rit et sourit devant l’humanité de ce trio improbable, touché par ces personnages qui en disent si long sur notre randonnée humaine.
A déguster sans modération, à la plage, à une terrasse de café, dans un jardin public ou confortablement installé chez soi. Un moment de grande satisfaction, un vrai bonheur de pouvoir découvrir ce roman qui, par son humour tendre, dépoussière les plus grands qu’il peut côtoyer sur les rayons de nos bibliothèques sans rougir. Et à propos de rouge, la couverture (je vous avais dit d’aller la voir !) offre un joli graphisme d’une plume de stylo pleurant une goutte de sang. Clin d’œil pour un livre qui se ferait passer pour un thriller haletant alors qu’il trouve davantage sa place dans ce qu’il est convenu de nommer le cosy-mystery ? Tout est en finesse et, ici, chargé d’humour et de recherche de sens qu’il est plaisant de donner à ce bel objet-livre. J’ai eu la chance de le découvrir grâce à Babelio et aux éditions Hugo et Cie. Merci à eux !