Mytale ! À son annonce, on entend des airs de Ténébreuse, la planète oubliée aux orages de folie... Planète oubliée, abandonnée – trop dangereuse, impropre à une société humaine stable. La société galactique, passée d'un Empire à une Fédération (pas que ça change grand'chose) décide de revenir vers cette terre perdue pour l'humanité – ne serait-ce que pour savoir ce qu'il s'y est passé ces deux derniers millénaires. Sont donc envoyés deux cent agents, surentraînés, préparés à affronter toutes les situations possibles. Ils n'auront que le temps de mourir.
Sauf Audham En-Tha, survivante miraculeuse, qui s'échappe comme elle le peut, en terre étrangère où rôde, permanente, la menace des mutagènes... C'est que Mytale est une planète changeante, où la biologie triomphe de la physique et où l'Évolution règne maîtresse. Heureusement pour Audh, elle est rapidement secourue par Lodh Ilodi Lodj, qui se dit Ille... Il la prend sous son aile, et l'emmène vers la civilisation – ou ce qui en tient lieu ici. De là, c'est bien tout l'avenir de Mytale qui est en jeu, car la planète est sous le joug des Evres, que l'on dit immortels ; et Audh, en ne cherchant qu'à rentrer chez elle, de l'autre côté de l'espace, va se trouver mêlée aux courants insurrectionnels de cette terre plus complexe qu'elle ne l'apparaît de prime abord.
Mytale est un roman intéressant, même s'il n'est pas très bon. Il commet en fait, fondamentalement, la même erreur que Parleur, le seul autre roman d'Ayerdhal que j'aie lu jusqu'ici : en se préoccupant autant de faire passer son message politique, l'auteur oublie qu'il est en train de rédiger un roman, se qui implique de raconter une histoire, animée par des personnages.
Or Mytale n'a pas de personnages, mais des postures. Des figures qui déclament des discours et expriment leurs positions politiques, mais il n'y a pas de drames, il n'y a pas de relations. Considérez Audh, personnage principal, dont on suit régulièrement le point de vue restreint : son caractère, généralement, peut se résumer d'un simple « c'est une chieuse », et cela décrit également sa fonction dans le récit. Elle arrive dans une société de castes sclérosée, dont les différentes luttes, même d'intérêts convergents, sont incapables de s'entraider : à elle de taper dans cette fourmilière cancéreuse, pour faire comprendre qu'en matière de combat social, l'ennemi est le puissant -- les luttes intestines entre les faibles sont non seulement mesquines, mais surtout l'arme du pouvoir. Bref, elle n'est pas un personnage, elle est une fonction. Sans compter qu'elle est mal définie : elle devient véritablement une nouvelle femme suite à sa mytalisation... sans que le récit ne vienne confirmer un changement de personnalité de sa part. Contraste étonnant et jamais expliqué.
Pour le reste, la société présentée par Ayerdhal est élégante, bien qu'étonnamment figée pour une planète décrite comme mutante : cette idée, très intéressante, d'une évolution déréglée ne sert qu'à justifier l'existence des différentes castes comme autant de monstruosités homogènes. Reste une construction élégante – un narrateur incertain présente Mytale en termes simplistes, présentation qui est ensuite confrontée à la complexité de la société réelle, les deux s'enrichissant mutuellement –, et quelques erreurs grossières – prétendre que Mytale est dénuée de tout système économique puis explorer un marché, entre autres preuves abondantes de l'existence d'un tel système.
Mytale tombe dans le grand piège de ce que j'appellerais la « science-fiction anthropologue » (voir par exemple La main gauche de la nuit) : aveuglé par l'allégorie que le monde doit porter, l'auteur oublie l'essentiel, le récit.