Le loup de Balls Street
Conversation téléphonique longue distance Seattle-New-York, une nuit chaude et électrique du mois de mai, entre un maître dominateur et son élève : Maître, Anastasia est partie... La pute...
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le 15 févr. 2015
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Quarante quatre ans après, Messner revient sur l'expédition de 1970 sur les flancs du Nanga Parbat et la première, exceptionnelle et tragique ascension du vertigineux et vertical versant du Rupal qui couta la vie à son frère Günther. Sa version des faits, si elle est aujourd'hui communément admise (encore que le club alpin allemand continue d'envoyer des piques), n'a pas pas toujours fait référence. Longtemps, la presse spécialisée et les membres des différents clubs alpins européens (allemands, italiens et tyroliens mais surtout allemand évidemment, puisque l'expédition portait ses couleurs), sans doute rongés par la jalousie que suscitaient (et suscitent toujours) les performance de Reinhold, s'est en effet entendus pour noyer la version du grimpeur du Tyrol et imposer la leur : Günther était mort dans la montagne, sacrifié par son frère aîné, sur l'autel de son ambition personnelle.
Remise dans le contexte. Le Nanga Parbat, c'est le "huit mille" le plus occidental des quatorze (il est au Pakistan). Culminant à 8126 mètre, il arrive en neuvième position. Pourtant, avec le K2 et l'Annapurna, il est sans doute le sommet le plus difficile à vaincre et, si l'envie vous venez un jour de vous vantez d'avoir gravi un 8000, sans nul doute que c'est de lui que vous devriez parler. Qu'on l'aborde par sa face Nord (Rakhiot), son flanc Ouest (Diamir) ou sa terrible face Sud (le versant du Rupal, du haut de ses 4500m, est la paroi le plus haute du monde), l'ascension sera difficile, glaciale, périlleuse et souvent très exposée aux chutes de pierres et aux avalanches (beaucoup de couloirs meurtriers) et, si jamais l'idée vous prenez d'y ouvrir une nouvelle voie (si possible une directissime par le Rupal ou le long de l'arête Mazeno), vous y glaneriez votre piolet d'or.
Contrairement à l'Everest, il n'y a pas de voie facile sur le Nanga Parbat. Avant que Buhl ne dépucèle la congère sommitale, beaucoup s'y sont cassés les dents ou y ont cassés leur pipe. Et pas des moindres : le roi du rocher Murmmery (trois éperons éponymes versant Diamir), Willi Merkl (un couloir célébrissime éponyme le long du Rupal) ou encore Einrich "Sept ans au Tibet" Harrer, à l'époque où le montagne était encore celle du "destin allemand" (à part Murmmery qui était britannique, l’ascension du sommet n'a été entrepris que par des cordées germanophones), s'y sont frottés en vain (les deux premiers y trouvèrent leur dernière résidence).
Quand le docteur Herrligkoffer, spécialiste de la montagne, bien qu'il n'ait jamais quitté son camp de base, organise une énième expédition au Nanga Parbat avec l'ambition d'abattre le versant du Rupal, toute la jeunesse aventureuse et douée d'Allemagne propose ses services. Lui ne veut que les meilleurs. Il a fait de Reinhold Messner, 26 ans, sa tête de pont. Pour l'accompagner au Pakistan et, peut-être, s'encorder avec lui si ses capacités le permettent, il engage également son petit frère Günther, 24 ans. Depuis qu'ils ont l'âge de marcher, les deux frangins n'ont jamais cessé de grimper ensemble réalisant quelques premières de haut vol dans les Dolomites. La complicité fraternelle est également amicale et professionnelle. Elle saute aux yeux et fait d'eux, sur le papier, la meilleure cordée du monde cette année là. Glace, roche, artificielle, fissure, ils savent tout grimper. pas une paroi au monde ne saurait résister à leur assaut. Herrligkoffer le sait.
La vie au camp de base est somme toute assez ennuyeuse. Pendant que les Messner, les autres alpinistes et les sherpas équipent les différents camps d'altitude et entreprennent leur acclimatation, Herrligkoffer fait le point sur les conditions météos. Nous sommes en Juin 1970, l'autorisation de grimper court jusqu'à la mi-Juillet et la saison des moussons est sur le point d'arriver. Aucune fenêtre météo de plus de 24 heures n'arrive à se dégager. Pour tuer le temps les alpinistes, redescendus au camp de base à cause des conditions exécrables qui règnent plus haut, écrivent à leur proches, jouent aux cartes et, dans le dos du chef d'expédition, partent explorer les 6000 environnants. Günther et Reinhold sont de ceux là. Quelques jours à peine avant de tenter, dans un assaut de la dernière chance, le sommet du Nanga Parbat, ils vainquent celui de l'Heran Peak qui restera le premier, et dernier, "six mille" de Günther.
L'accréditation au pied de la montagne touche bientôt à sa fin et toujours aucune cordée ne s'est élancée à l'assaut des dernières centaines de mètres qui séparent le dernier camp d'altitude de la pyramide sommitale du Nanga Parbat. Il est convenu que tous grimpent sur la montagne et attendent l'éventuel feu vert de Herrligkoffer (qui reste au camp de base) depuis le camp qui leur a été assigné. Avec deux autres alpinistes, Günther et Reinhold sont dans le dernier, le plus haut, prêt à grimper. Quelques heures plus tôt, au pied de la montagne, Herrligkoffer avait pris Reinhold en aparté et lui avait exposé son plan : en cas de météo favorable, il tirerait une fusée bleue et toutes les cordées pourraient se mettre en branle ; en cas de météo défavorable ou de fenêtre trop courte, la fusée serait rouge et seul Reinhold, dans une ascension éclaire, pourrait s'élancer. La nuit est déjà bien avancée et le ciel à la noirceur d'un ciel d'altitude. Le camp de base semble minuscule vu de la tente des Messner. Il est plongé dans le noir et seul une petit lueur persiste. C'est la tente de Herrligkoffer où le chef d'expédition épie et décrypte chaque nouveau bulletin météo. L'homme sort de la tente et attrape une fusée. Elle ne monte pas très haut dans le ciel mais son explosion est visible et attendue par tous. Une lueur rouge illumine brièvement les séracs et la roche glacé du versant du Rupal. La réussite de l'ascension repose maintenant sur les seuls épaules de Reinhold. Cette montée convient bien au tyrolien qui s'élance sans tarder.
Quelques heures plus tard et les premières lueurs de l'aube paraissent déjà à l'Est, sur sa droite. Le couloir de Merkl doit sa notoriété à celui qui y laissa son nom et à sa forte exposition aux avalanches. Il ne faut pas s'y attarder d'autant plus que le mercure commence à grimper, rendant la calotte de neige capricieuse. Après maints détours, Reinhold abat finalement ladite difficulté. Ça lui aura pris environ 8 heures. Le reste sera l'affaire de quelques heures à peine. Le ciel est étrangement dégagé. Il peut jeter un coup d’œil à 180° sans apercevoir le moindre nuages à l'horizon. La fusée était pourtant rouge. La dépression arrivera sans doute du Nord. Il le verra bien quand il sera au sommet. Malgré tout, en période de mousson, les dégradations arrivent toujours par le Sud, de l'Océan Indien. Bref, pas de temps à perdre. Il faut monter. Un petit coup d’œil en contre-bas pour observer sa marque. La ligne est assez belle, logique. Une ombre semble l'emprunter. Elle se déplace vite. Elle l'aura bientôt rejoint. Il décide de l'attendre. A peine deux heures plus tard la voilà qui arrive à son niveau : c'est Günther! Quelques heures après le départ de son frère, devant les conditions favorables et sûr de sa force, il s'était élancé à la poursuite de son frère.
Les deux hommes rêvaient du Nanga Parbat depuis leur plus jeune âge. Le gravir ensemble allait au delà de leur espérance. Günther reprend brièvement ses forces et les deux frères, encordés, s'élancent dans la dernière portion de ascension entre l'épaule et le sommet. Il n'y a qu'une petite centaine de mètre à parcourir à peine. Mais à plus de huit milles mètres d'altitude cela signifie une bonne heure de marche. D'autant plus pour Günther qui commence à marquer le pas. C'est tout à fait normal, sa course derrière son frère l'a épuisé. Il a avalé en quatre heures ce que la cordée suivant mettra plus de dix heures à faire. S'il avait survécu (et il n'en était pas loin du tout), Günther aurait eu une carrière d'alpiniste extraordinaire qui n'aurait rien eu à envier à celle de son frère Reinhold. Bref. Les voilà au sommet, complètement épuisés. Ils n'ont pas de quoi bivouaquer (un bivouac à cette altitude, si elle n'est pas obligatoire, est à proscrire de toute manière) étant donner qu'il s'agissait d'un assaut éclair. Attendre la cordée suivante? Ils ne savent pas où ils en sont de la montée, ni même s'ils ne l'ont pas abandonner, et le jour décroît rapidement avec le thermomètre. Il faut donc redescendre. Par le Rupal? Trop compliqué. Reinhold seul aurait pu y parvenir mais son frère est trop fatigué pour le faire. Et puis il leur manque quelques mètres de corde pour assurer les sections les plus verticales. Il descendront donc par le versant du Diamir. Moins vertigineux que le Rupal, le Diamir n'en est pas moins un sacré morceau. Avant de pouvoir ne serais-ce qu'entreprendre la descente, il faut se reposer et convenir d'un plan d'action. A l'abri de la brèche Merkl, et malgré un court et sourd contact avec la cordée suivante, ils décident donc de rejoindre la voie Kinshofer de 1962 et d'improviser un itinéraire à partir de là.
Départ de bonheur. Les deux frangins ont les extrémités gelées et endolories. Ils s'élancent à la lueur de leur frontale. La descente est longue et fastidieuse. Ressaut, éperons, couloirs, séracs... Ils errent dans un océan blanc. Pourtant la pression atmosphérique augmente petit à petit et l'air se fait plus riche. La nuit tombe, nouveau bivouac d'infortune. Si tout se passe bien, ils seront demain après midi au pied du Diamir et n'auront alors qu'à contourner la montagne pour rejoindre le camp de base. C'est l'heure de partir, Reinhold et Günther s'élancent pour la dernière fois ensemble. Reinhold marche devant, fait la trace pour son frère, et se retourne de temps en temps pour lui demander des nouvelles "Ça va Reinhold. Regarde on voit des troupeaux dans la vallée." Günther se sent de mieux en mieux à mesure qu'ils descendent. Ils arrivent au niveau du glacier du Diama. A partir de là, il ne restera plus qu'à désescalader la moraine latérale et suivre la combe jusqu'au fleuve Indus. Le plus dur est derrière eux. Reinhold arrive le premier en bas de la moraine. Son frère Günther ne l'atteindra jamais. Pris dans une crevasse, piégé par un pont de neige sans doute.
La montagne recrachera son corps 35 ans plus tard, au pied du versant du Diamir mettant fin aux calomnies et à la controverse selon laquelle Gûnther était mort à la montée, et intronisant la version de Reinhold comme seule vérité. Une très lourde vérité qui révèlera notamment que ce soir là du 27 Juin, alors que les alpiniste attendaient les instructions colorées du camp de base, Herrligkoffer tira la mauvaise fusée. Le météo était propice, la fusée aurait dû être bleue. Il est fort à parier que la vie de Gûnther aurait été épargné si Herrligkoffer n'avait même que tiré une deuxième fusée pour annuler la première.
Le style du bouquin est assez particulier. Autant Reinhold peut s'avérer très pompeux quand il vise les institutions et fait la leçon, autant il est d'une fluidité et d'une légèreté très appréciable quand il nous parle de sa montagne et de son frère. Le récit est entrecoupé de lettres envoyées par Günther et Reinhold depuis le Nanga Parbat à leur frères, sœurs, parents et amis ainsi que des réflexions et descriptions que Günther tenait dans son journal de bord. Pour tous ceux à qui plaisent les récits d'aventures, de fratrie et d'alpinisme, ce livre est nécessaire car fait la lumière, de manière officielle, sur l'un des mystères les plus insolubles de l'histoire de l'alpinisme. Reste plus qu'à savoir si Irvine et Mallory ont foulé le sommet du mont Everest.
Créée
le 16 oct. 2014
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