Une jolie plume, un beau récit dans un roman choral où au fil du temps - de l'après-guerre à nos jours - les membres d'une famille juive polonaise séparée par l'Histoire et les kilomètres, se livrent à nous.
Des fantômes liés à l'histoire de la famille les poursuivent au quotidien.
Marie est née en 1960, c'est la fille d'Anna restée en France.
Les ancêtres, "les pionniers" arrivent en 1949 dans la terre promise d'Israël. Nous sommes juste après la guerre et la création de l'état d'Israël. Les ancêtres vont participer à la création d'un Kibboutz. Les langues sont multiples et l'on décide que ce sont l'anglais et l'hébreu qui seront adoptées. Les exilés sont souvent lettrés, musiciens, médecins, bijoutiers, ils vont tout abandonner et se donner corps et âmes pour cette terre ingrate. Ils renoncent à beaucoup mais ils ont une certitude : celle de rompre avec la malédiction, ne plus être désignés, ils n'attendront plus le prochain massacre.
Oui mais il y a tout de même trois ans de service militaire, et la paix n'est pas vraiment retrouvée.
De l'autre côté, ceux qui sont restés en France ou aux États-Unis ne pouvant plus supporter de vivre en ghetto, ont le sentiment de se sentir libre, ils peuvent étudier, se cultiver, trouver une place dans le monde sans le risque de croiser un regard haineux.
Mais tous qu'ils soient ici ou là-bas sont hantés par l'Histoire.
Dans ce récit, plusieurs générations se livrent , nous font prendre conscience d'un idéal difficile à atteindre, de la difficulté de trouver la Paix.
On suit l'évolution de la vie au Kibboutz, l'envie de réussir, l'espoir, la joie mais aussi la nostalgie. La difficulté pour Marie restée en France en rendant visite après 30 ans de prendre position, de réaliser qu'il y a une absence de solution pour trouver la paix intérieure.
J'ai aimé l'écriture incisive, profonde du récit en partie autobiographique. C'est fort, cela amène à la réflexion, à considérer la question autrement sur un sujet complexe, Vivre ici ou ailleurs, un autre regard pour comprendre la complexité du choix.
Très émouvant et intéressant.
Ma note : 8.5/10
Les jolies phrases
C'est peut-être pour cela qu'il s'est passé trente ans avant que je retourne en Israël : pour discerner la vérité fragile et complexe de ces vies, il fallait éviter le fracas du réel et de son actualité constamment tourmentée.
Qui sait, peut-être allons-nous être heureux dans notre pays, s'il reste en nous de quoi l'être au moins un peu.
Je savais, moi, que j'avais beaucoup plus que mes 15 ans. On grandit vite dans le danger et les privations. Le temps que la guerre prenne fin, j'étais devenue tout à fait adulte et je ne comprenais pas que les autres n'en conviennent pas.
Mais comment être légers quand tous nous venons de lignes décimées ? Quand alors qu'on nous veut invincibles, plus jamais victimes, nous avançons avec la conscience presque honteuse de notre précarité ?
C'est peut-être essentiellement ainsi que se manifeste votre héritage juif, dans cette forme de pudeur et de résilience qu'est l'auto dérision des persécutés, des menacés, des survivants.
Aussi conflictuelles soient-elles, nos relations avec les Palestiniens ne préparent pas à cela non plus. Être l'objet de la haine, en ressentir ou au moins de l'incompréhension, les deux pieds plantés dans ce qu'on considère comme sa terre, n'a rien à voir avec le rappel constant de son illégitimité, de sa qualité d'indésirable. On comprend que la plupart revienne vivre ici après avoir vu le vaste monde, qui aurait tant à leur offrir.
Rien n'est achevé. La paix se refuse encore, se refusera sans doute à jamais tant les hommes sont doués pour tout gâcher, nos fils poussent à peu près droits mais tourmentés, pleins de nos drames et de ce qu'ils auront à affronter, et je la laisse seule ?
Nous n'avons peut-être pas le choix, mais nous en avons fait, ou plutôt, des choix ont été faits en notre nom qui n'avaient rien d'obligatoire, qui sont de l'huile constante sur le feu. Nous n'avions pas à occuper plus de territoire qu'il n'en faut. Comment espérer la paix quand on fournit à ceux qu'on croit ainsi dominer de quoi nous haïr de génération en génération ? Et comment fait-on pour vivre heureux, nous, sans être désespérés par cette situation impossible ?
Grandir au kibboutz nous a permis de gagner du temps. On est quasiment nés affranchis. Pas question d'oublier une minute de quelle tragédie on était les rejetons ni que nos géniteurs ne nous étaient pas dévoués. Au moins, on avait de l'entraînement, on ne s'attendait pas à ce que le monde nous ouvre les bras.
Peut-être avions-nous fini par partager quelque chose d'essentiel, en nous taisant pourtant des heures côte à côte. Ne serait-ce que le fragile souvenir, sans qu'il soit jamais évoqué, du très ancien bonheur enfui, un bonheur passant alors inaperçu, tant qu'on en jouissait, et la conscience d'avoir traversé ensemble des épreuves qui nous avaient usés mais pas vaincus. Nous étions sauvés, nos enfants et nous. Nous avions fait ce qu'il fallait.
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