Outsphere
6.9
Outsphere

livre de Guy-Roger Duvert (2019)

Un planet opera, et bien plus encore.

Outsphère est un planet opéra qui raconte la mise en place d’une colonie humaine sur un monde habitable, mais totalement inconnu et inexploré. Mais il ne limite pas à cela.


Contexte :


La Terre est tellement dégradée que peu de gens croient encore à un possible retour en arrière. Une expédition va donc être envoyée vers une exoplanète. C’est l’opération de la dernière chance. Son échec signifiera très certainement la fin de l’humanité. L’exoplanète choisie se révèle riche en eau liquide. Mais c’est à peu près tout ce qu’ils savent sur elle. C’est à la fois à la colonisation, mais aussi à la découverte d’un monde nouveau que sont confrontés ces colons d’un nouveau genre. A priori, la surprise est bonne, l’atmosphère contient de l’oxygène, une faune et une flore sont présentes, la colonisation va s’en trouver facilitée. La planète va être nommée Eden, et la nouvelle colonie Outsphere.


Le monde :


L’action se localise en deux endroits principaux : l’Arche, le vaisseau ayant amené les colons, et Eden la planète. Les visites en d’autres lieux sont anecdotiques.
Eden est une planète semblable à la Terre, mais ne comportant qu’un seul gros continent sur lequel sont répartis quelques grandes mers fermées qui représentent la moitié de sa surface. Elle est accompagnée d’un satellite, Olympe, énorme, mais très peu dense. L’ensemble se situe dans un système multiple, mais la seconde étoile est trop éloignée pour interagir sur la biosphère de la planète. La grande particularité d’Eden est la présence à sa surface d’orages magnétiques qui brouillent tous les appareils électroniques. Les zones recouvertes sont ainsi appelées zones muettes parce que toute communication y est impossible. La faune et la flore entre les deux types climatiques sont très différentes. D’ailleurs, certains animaux des zones muettes savent utiliser le magnétisme pour leurs besoins. Le problème est que les humains peuvent difficilement se préparer à ce qui s’y trouve, puisqu’ils ne peuvent pas voir ce qui se passe dedans.


Les personnages :
Comme dans ce genre d’œuvre, ils sont nombreux et aucun ne se distingue fortement du lot. Certains toutefois, sont plus importants que d’autres pour la colonie.
Amiral Suleiman : chef de l’expédition des Anciens. Il dirige le contingent militaire chargé de protéger les colons, contre toute menace en provenance de la planète, mais aussi dont ils seraient à l’origine.
Colonel Bowman : le Jack O’Neill de l’expédition. Militaire efficace, aimé de ses hommes. Il n’a jamais connu l’échec… jusqu’à Eden.
Vanessa Fulton : scientifique spécialiste de l’exobiologie, elle s’accommode mal des procédures de sécurités que lui impose Bowman.
Vincent Falcade : c’est un colon dont le but est de se débarrasser le plus vite possible de la tutelle militaire pour entamer rapidement la colonisation.
M0014 : chef du corps expéditionnaire Atlante. Sa mission est d’assister et de protéger les Anciens aussi longtemps que ceux-ci ne constituent pas une menace pour sa culture.


Bien que les personnages soient bien caractérisés avec leurs habitudes et leur logique, renforcée par l’examen de leurs pensées que nous offre l’auteur, on peut regretter que la société Atlante, prétendument futuriste, utilise un système d’identification remontant à la préhistoire de l’informatique. Or, même s’ils utilisent des matricules, ils restent humains et interagissent avec les anciens. Comment se fait-il dans ce cas, que des surnoms ne leur aient pas été attribués, ne serait que par les anciens. Connaissant mes compatriotes, je suis surpris qu’aucun militaire n’ait pensé à renommer M9422 « La bombe » ou d’un autre surnom emprunt de finesse et tout aussi créatif. Sans compter que ce genre de nommage entraîne des confusions. À un moment, je me suis perdu pour avoir confondu la fameuse M9422 avec S8588 qui n’a rien à voir. C’est d’autant plus dommage que les Atlantes sont très intéressants avec leur unité et leurs contrastes. En étudiant les Anciens, leurs ancêtres en quelque sorte, ils redécouvrent toute la richesse de l’humanité qu’ils avaient perdue. Leur apprentissage constitue un aspect passionnant de l’histoire.


Les thèmes :


Outsphère aborde de nombreux thèmes. Tout d’abord, le sujet principal de l’histoire : le planet opéra. Il décrit une colonisation avec tous ses aléas, les problèmes climatiques imprévus, les espèces dangereuses et l’environnement hostile. Mais il ne se limite pas à cela.
Les interactions entre les deux communautés humaines sont particulièrement intéressantes. D’un côté, nous avons les Anciens des humains non modifiés avec leur individualité, leur respect plus ou moins poussé de la hiérarchie et la quasi-anarchie qu’ils créent (c’est nous) et de l’autre les Atlantes, des humains modifiés bénéficiant d’une sorte de conscience de groupe ou tout individualisme est gommé, tout en restant humains cependant. Les deux approches dans la colonisation sont abordées, chacune avec leurs avantages et leurs inconvénients. La plus grosse différence apparaît dans la gestion d’une épidémie où les Anciens vont tenter de sauver tout le monde au risque de tout perdre alors que les Atlantes vont sacrifier sans états d’âme leurs compagnons malades. La question de la cohabitation entre deux cultures très différentes est ainsi posée, est-elle possible ou pas ?
De même, la cohabitation entre les militaires et les civils se posent. Les premiers sont pour la sécurité avant tout et un respect strict des priorités et le respect absolu de l’autorité alors que les derniers sont pour la connaissance et la colonisation en premier, quitte à prendre des risques. D’ailleurs, il est amusant de voir que ce ne sont pas les colons qui ont peur des militaires, mais le contraire ; l’amiral Suleiman est effrayé par leur anarchie et leur sens à son avis faussé des priorités.
Enfin, un dernier thème, mais pas des moindres, l’exploration de la planète. Au fur et à mesure de leur exploration, les colons vont découvrir une faune et une flore inconnue, avec ses dangers, sa population primitive de l’âge de pierre, mais surtout les traces d’une civilisation avancée disparue, voire de plusieurs. D’ailleurs les primitifs ne semblent pas effrayés par la technologie, les vaisseaux spatiaux des colons et leurs armes. Ils savent ce que c’est et savent y faire face, même s’ils ne disposent que d’une technologie néolithique.


Le style :


En général, il ne se remarque que quand il est mauvais. Ce n’est ici pas le cas. L’auteur utilise un vocabulaire riche avec des phrases fluides, agréables à lire. Souvent en SF, il faut désigner des objets qui n’existent pas, et donc inventer des mots. Beaucoup d’auteurs n’ont que des idées ridicules. Dans ce roman, où il ne fait qu’extrapoler nos propres technologies, ces cas sont rares. Mais il y en a. En particulier dans les véhicules de transport terrestre. Les noms de ses inventions sont élégants, reflétant la fonction de l’objet sans prêter à sourire.


Mon avis :


Certains critiques considèrent que la science-fiction n’est intéressante que si elle pose des questions. C’est à mon avis un tort. Son but premier est de distraire. Les questions, s’il y en a, sont un plus, mais ne sont pas indispensables. Outsphere ne permettra pas de répondre dans ce débat parce qu’il fait les deux : il distrait et il questionne. L’installation des colons sur la planète est intéressante, mais le roman va bien au-delà de la simple robinsonnade.
Une première question qu’il pose est : si l’humanité, connaissant les erreurs commises par le passé, avait une chance de tout recommencer, ferait-elle mieux. Il faut avouer que la réponse est pessimiste. Aussi bien les Anciens que les Atlantes s’en montrent incapables. Peut-être qu’une autre race le pourrait, mais pas les humains.
Une autre question est : que se passerait-il si les Terriens rencontraient une espèce moins évoluée ? Dans le livre, ils s’en balancent. Ils s’installent loin pour ne pas entrer en concurrence, leur nombre compensant largement leur arriération. Mais à terme, la colonisation de toute la planète est envisagée. Les autochtones ? Ce ne sont que des primitifs. Agressifs qui plus est. Inutile de s’occuper d’eux. En clair, ils se préparent sans scrupule à commettre un génocide qui ne dit pas son nom. Tout au plus, on peut imaginer que tôt ou tard, dans un sursaut de conscience, ils créeront des réserves pour accueillir les survivants. Une redite de la colonisation américaine en somme.
Une autre raison qui fait que le roman m’a emballé c’est que l’auteur s’est un jour posé des questions similaires aux miennes. Mais il les a utilisées dans un roman, contrairement à moi. Si une civilisation évoluée comme la nôtre avait existé autrefois, disons au temps des dinosaures, pourrait-on en retrouver des traces aujourd’hui ? La réponse est oui. Et quand ces traces apparaissent dans le roman, j’ai compris ce qui se préparait. Mais ça, c’est le résultat d’un questionnement personnel. La plupart des lecteurs passeront à côté.
Il n’est pas exempt de défauts non plus. En particulier, Eden se révèle vraiment favorable à la vie humaine alors que cette biosphère s’est formée à des années-lumière de la Terre. Il y a aussi dans la gestion de l’épidémie : une succession de mauvaises décisions totalement irréalistes (comme cacher la maladie à sa famille pour ne pas l’attrister au risque de propager encore davantage l’épidémie). Les diplômes aussi, dans le but de montrer à quel point les scientifiques sont badasses, font dans la surenchère jusqu’à l’excès (ce qu’en littérature, on appelle le complexe de l’Everest : la personne ne doit pas être bonne, elle doit être la meilleure dans son domaine). Avec les difficultés et le temps qu’il m’a fallu pour acquérir un seul doctorat ; alors cinq dans des domaines différents, j’y aurai passé ma vie entière. Et j’aurai alors été trop vieux pour voyager sur l’Arche.
D’ailleurs, dans le choix des personnages, il y a à mon sens, une lacune. Pour recréer une civilisation humaine ailleurs, il faut certes des ingénieurs, des techniciens, des ouvriers et protéger l’ensemble par des militaires. Mais il faut aussi quelque chose d’indispensable qui définit l’humanité : des artistes. Or ils sont quasiment absents de l’arche. Il y a bien Fancer, un écrivain. Et à un moment on voit un colon s’adonner à la peinture comme loisir. Mais il n’y a pas de musiciens, de chanteurs, de sculpteurs. Il n’y a pas non plus de journalistes et de chroniqueurs pour la postérité. Si c’est un choix des colons, il aurait dû être expliqué, ce qui n’est pas le cas.
Ces défauts sont cependant mineurs face aux qualités de l’œuvre. En particulier, l’auteur a soigné ses personnages. En entrant plus profondément que n’importe qui d’autre dans leurs pensées comme il le fait, on comprend leurs motivations et leurs actes ne nous paraissent jamais illogiques. Stupides parfois, mais logiques. En particulier Suleiman, qui a compris qu’il n’y a pas de plan B et que si la colonisation échoue l’humanité disparaîtra, d’où sa peur constante de ce qui peut mettre en danger la communauté. Les découvertes sur les autochtones s’enchaînent nous faisant aller de surprise en surprise, révélant une société primitive, mais plus organisée qu’il n’y parait. Et les indices sur le secret de la planète sont distillés avec intelligence jusqu’au moment des explications qui paraissent alors naturelles.


Si ce roman commence comme un planet opéra, il enrichit vite le genre en ouvrant des perspectives multiples. Et ce n’est pas fini. Ce n’est qu’un tome 1 et la fin laisse présager d’autres confrontations. J’ai aimé le lire, d’ailleurs, je l’ai dévoré en seulement deux jours. Et j’attends la suite avec une certaine impatience.

Fenkys
8
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le 17 janv. 2020

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Fenkys

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