Nostalgie, quand tu nous tiens !
Loin des jolis portraits qu'en font certains guides touristiques racoleurs, « Pérégrinations coréennes » entraine le lecteur sur les chemins de traverses qu'a empruntés son auteur, Eric Bidet, durant son séjour d'une douzaine d'années au pays du matin clair.
A moins d'être épouse de diplomate et ne fréquenter que les coréens aisés qui « ont tous deux voitures, » la réalité des inégalités de la société coréenne n'aura pas échappée au touriste étranger, de même que certains paradoxes assez caractéristiques de la mentalité coréenne. Ainsi, le peuple coréen a beau être des plus fiers de son héritage culturel et de ses traditions, il n'en demeure pas moins très complexé, comme l'illustre le recours quasi-systématique à toute une panoplie d'artifices pour paraître « mieux que ce que l'on est réellement. » L'auteur consacre d'ailleurs tout un chapitre au « simulacre. »
De même, les valeurs de fidélité que les coréens encensent ne concerneraient que les femmes, les hommes n'étant pas tenus d'être à la hauteur des normes de vertu auxquelles doivent en revanche se plier les épouses. Notons que c'est dans le chapitre « Cafés » que l'auteur titille le sujet, le café typiquement coréen étant pour lui le dabang, où l'on boit en compagnie de la serveuse...
Enrichi d'extraits et de citations tirés d'autres témoignages parfois ayant valeur historique (tels les récits de Baudens, Frandin ou Ducrocq parmi d'autres), les pérégrinations de Bidet sont pour l'ensemble empreintes d'une nostalgie assez pesante. On pourrait presque croire que l'auteur exprime du regret pour « les vieilles prostituées qui tenaient boutique dans une pauvre venelle menant au marché (...). » Certes, je partage son affliction quant à la disparition des arrières-ruelles de Séoul qu'il qualifie à juste titre de musée « à ciel ouvert, vivant (...) de cette culture populaire (...). » Mais je ne vais pas pleurer la disparition du « quartier chaud » de Cheongyangni, à proximité du marché de la médecine traditionnelle, où les filles tapinaient « en toute naïveté au milieu des légumes et des étals de poulet. »
Pour le reste, nos expériences des bains publics, de la cuisine, de la « Corée de peu, » de ce « mélange préservé de ville et de nature » se rejoignent. Et si le sort de ce qu'il reste aujourd'hui de Pimatgol semble joué, si le marché de Gileum est désormais assiégé par une triste armée d'appartements, si les vieillards « continent à travailler pour gagner de quoi vivre, » on se demande parfois si le prix à payer pour un développement économique aléatoire n'est pas un peu trop élevé...