De l'intérêt des "vieilles valeurs viriles"
Ce petit livre lestement écrit, d'une drôlerie acide et distanciée souvent ironique, a le mérite de tracer en quelques traits que je trouve souvent bien troussés une éthique journalistique du réactionnaire contemporain, cet idéaliste détrompé ayant perdu foi en l'humanité, sans pour autant être en mesure de remodeler les valeurs qui avaient consolidé cette foi. Faisant esthétique de politique, ancré dans la durée plus que dans l'éphémère, accordant plus de crédit à l'élitisme qu'aux égalitarismes, contempteur d'une matriarcalisation de la société, c'est un amateur des grandes déplorations, et un pessimiste par raison, qui cite Cioran, Renaud Camus, Régis Debray, Céline, Zemmour, et quelques autres.
Hypersensibles au changement, d'un individualisme aristocratique qui les portent au mépris du peuple et des masses veules, les réactionnaires en perçoivent d'instinct les problèmes à venir, et les mettent en des mots qui, toujours, frappent, de n'être pas au goût consensuel du jour. On regrettera peut-être leur incapacité à produire la moindre solution, sinon d'un désabusement esthétique devant la perte d'incarnation de leurs idéaux, sinon leur chute - car le réac réaffirme ses idéaux comme intemporels, même face à la menace avérée de leur éradication du monde. Mais lorsque, comme ici, elle est lucidement assumée, on a presque droit, je trouve, à un manifeste anti-moderne (A. Compagnon.) - toutes choses qui m'ont permis de "lire ce texte avec la distance suffisante pour (m)'en amuser tout en l'assimilant malgré tout."
S'en dégagent quelques conseils d'un "savoir-vivre réactionnaire" çà l'usage des jeunes générations :
- l'éducation passe par la contrainte : ne faites des enfants que si vous êtes près à lui donner les rgèles nécessaires de savoir-vivre en commun.
- se garder du grand nombre, qui a toujours tort, être singulier, et, singulier, humble. A ce titre, éviter le lâcher-prise, truc oriental ne convenant pas à l'Occident - car l'Occident est ce qui ne lâche jamais prise (au passage, voici indiqué à la fois le mal et le remède et l'impossibilité du remède). La conscience de la dette à l'égard de son héritage est forte chez le réac, qui conçoit la fidélité sous l'espèce de la mémoire (je serais tenté de dire : la lettre, plutôt que l'esprit).
- être exemplaire, la meilleure manière d'éduquer.
- vivre avec frugalité - ce qui impose notamment d'être là où l'on est, et non point perdu dans quelque monde virtuel.
- "rayer le mot bonheur de son vocabulaire" - au sens où le bonheur ne serait que somme de plaisirs, et de toute façon incompatible avec la fidélité aux idéaux que le monde actuel piétine. On lui préférera, "désabusé allègre", "un pessimisme actif fait de courage, de volonté, d'esprit de résistance à l'air du temps, et peut-être aussi d'un peu d'ironie de bon aloi".
Il y a là un portrait possiblement cohérent, certes d'une impuissance aussi grande que celle du progressisme optimiste à résoudre nos problèmes, mais disposant de quelques outils d'intérêt qu'une fois débarrassés des composantes castratrices de leur fidélité idéaliste, on peut espérer faire fonctionner au-delà d'un débat - que je trouve stérile, parce que structuralement (donc inévitablement) lié à la nature du changement au moins en Occident - entre progressisme et réaction : libre analyse, non répugnance à l'objectivité face aux désastre en face, appréciation du temps long - de la temporalité adaptée à un phénomène - etc. On n'oubliera pas au demeurant l'appétit du réactionnaire tant pour les gestes de dévouement désintéressé tout droit issus de ce coeur qu'il cultive, pour les César sanguinaire et les "grandes catastrophes purificatrices" seules à même de porter au réel le coeur de l'idéal - selon une conception ici logiquement agonistique du rapport idée-réel. Il va donc de soi que le même travail serait à entreprendre avec les recommandations et les errements du progressisme - conscience de la diversité, capacité à prendre la complexité à bras-le-corps plus qu'à la fuir, connaissance des collectifs, appétit au bonheur.