« Depuis que le monde est monde, c'est-à-dire, pour nous, depuis qu'il garde la mémoire, en dépit des civilisations diverses qui se sont succédé, en dépit des ruines, en dépit des sceptiques et des agnostiques qui ont parfois donné le ton à une époque entière (la Grèce de Périclès, la Renaissance italienne), il est frappant de constater que partout et toujours une grande voix monotone a fait retentir la même absurde vérité, scandaleusement, devant les mille aspects bigarrés de ce monde : il n'y a jamais eu, il n'y a, il n'y aura jamais qu'Un. Cet Un s'est déchiré en deux à la naissance du monde, mais chaque naissance est une mort et à la fin des temps renaîtra l'Un.
Cette voix retentit au fond des temples souterrains, de tous les mystères de tous les âges. Elle a clamé le meurtre d'Osiris, déchiqueté en cent parts, dispersé aux quatre vents de l'espace ; elle a chanté la longue quête d'Isis à travers le monde, retrouvant les fragments épars du dieu et reconstituant l'Unité par l'Amour. Elle a dit Adonis aux flancs fleuris de sang, pleuré et ramené à la vie Aphrodite. Elle a dit le Christ crucifié, mort, descendu aux enfers et ressuscité le troisième jour.
Et maintenant qu'il n'y a plus de prophètes pour crier la vérité du sommet des hauts lieux, la voix ne s'est pourtant pas tout à fait éteinte : affaiblie, vacillante, elle se traîne de siècle en siècle et parfois, en ultime sursaut, elle surgit encore, exsangue, mais surhumainement pure dans les bégaiement d'un poète.
C'est de cette révélation que la poésie profane de nos jour tire toute sa lumière. »
Le Romantisme Allemand