Un psychanalyste mettant en lumière l’inadéquation de la pratique des analystes dans la société contemporaine, voici qui n’est pas si courant. A travers les différents essais composants cet ouvrage, Pierre Eyguesier tente une exploration des raisons d’un échec et de ce qui pourrait y remédier en restituant à la psychanalyse son pouvoir de libération ; avec l’exigence de se confronter aux conditions de vie aliénantes qui sont le quotidien des analysants et rendent souvent obsolètes les outils classiques de la psychanalyse freudienne. Ce qui sous-entend la nécessité pour les analystes de prendre position clairement par rapport à la réalité sociale contemporaine car «Ce ne sont pas tant les pathologies qui ont changé, que le monde et les conditions d'existence de ceux qui tentent d'y vivre et d'y aimer, d'y élever des enfants.»
«L'angoisse n'est plus le symptôme du refoulement sexuel. A moins, bien sûr, qu'on désigne par refoulement sexuel la perte de tout plaisir lié à un travail "libre", à des relations sociales non chosifiées, à une habitation vivable dans une ville qui ne soit pas envahie par le bruit des voitures, la pornographie de la marchandise et l'anonymat de masse.»
«Ce qui se voit aujourd'hui en plein, et que Günther Anders et Adorno avaient pour leur part fait plus qu'entrevoir : l'obsolescence de l'amour et la mécanisation du sexe.»
Un constat central : «L'analyse ne peut pas grand-chose quand rien dans l'histoire ne prend le relais.»
«Le langage dans lequel nous baignons est un langage d'abrutis, il ment non pas parce qu'il ne dit pas la vérité, mais par essence.»
Aussi «Redonner (...) le goût de la lecture, pas seulement de la lecture de leur histoire œdipienne, mais de la lecture tout court. Seule chance me semble-t-il pour que la voix qui sort de leur bouche ne soit plus à l'unisson de celle "du poste", seule chance pour que se fasse entendre dans leur cabinet des voix qui ne reconduisent pas la rupture, consommée dans tout ce qui s'entend aujourd'hui, entre la chose et le mot qui l'exprime.»
Bien que marqué, comme la plupart des psychanalystes français par le discours lacanien, Pierre Eyguesier n’hésite plus à mettre en cause la parole du «maitre» : «Un choix lourd de conséquences de Lacan, celui de privilégier la révélation de l'être relativement à l'advenue de conditions de vie moins inhumaines. Choix de Heidegger de préférence à Adorno, ou à Günther Anders, ou à Hannah Arendt : voilà que Lacan, à partir des années 1970, se focalise sur la structure. Mon idée est qu'il est non seulement possible mais indispensable de faire la lumière sur cette bifurcation dont les effets catastrophiques sont évidents : embourgeoisement des psychanalystes et réclusions des analysants dans leur cure.»
Une blague révélatrice de cette stagnation «Pour faire parler un analyste lacanien, il existe un moyen imparable : lui dire qu'on ne va plus le payer !»
Un ouvrage qui reste certes insuffisant par rapport à l’ampleur du problème mais qui a le mérite de secouer quelque peu l’étrange torpeur de ce milieu qui à l’exemple de beaucoup d’autres semble surtout préoccupé de défendre ses intérêts corporatistes. Analystes, il va falloir choisir votre camp !