C'est un petit livre rare, qui nous parlera des arrêt d'enfance sur ceux de ces épisodes où le cerveau renâcle face au vertige des concepts. Les mathématiques parfois sidèrent - comme le regard happé par l'impossible des astres - ou... médusent - et c'est l'oxymore d'une mort vive, qui fait refluer l'être dans le silence d'un sommeil, d'un ennui, d'une révolte.
Je n'ai pas senti ces horreurs avant la Prépa - et je les expérimente encore, lorsque je me replonge dans quelque combinatoire aussi repoussante qu'une triple négation - il ne faudrait pas qu'il fût impossible que ce livre ne dît point quelque chose de faux :p. Mais je les ai vu vivre, en particulier par les élèves à qui je donnais des cours, et qui ne m'entendaient point, parce qu'ils ne pouvaient pas m'entendre : esprit bloqué sur un point de procédure (point de procédure, en effet : plus rien à faire sinon constater l'hébétude, parfois).
Les psychopédagogues savent aller chercher loin les raisons d'un blocage. Pourquoi est-ce qu'on ne parvient pas à faire des maths, à s'y mettre, alors que, non, rien, ne s'y oppose, ni l'intelligence ni même souvent la volonté a parte ante ? Fort informée et de mathématique et des façons de l'enseigner, et forte encore d'assez de psychanalyse pour entendre ce qui se joue ailleurs que dans l'objet soumis à l'attention, Anne Siety propose et soutient plusieurs hypothèses extraites d'études de cas. Ses sujets ont entre 8 et 18 ans - si je me souviens bien - et butent sur les mathématiques comme ils buttent sur certaines parties de leur existence - rapport aux parents, à la fratrie, à soi-même souvent.
Les maths, ça renvoie à un vocabulaire bizarre, emprunté au langage commun, et qui peut avoir des résonances avec _autre chose_. La récurrence, présentée par le biais de l'héritage d'une propriété d'un niveau à l'autre, peut créer des interférences avec le rapport à ses parents - si bien qu'en laissant l'apprenant explorer ces interférences, on réussi à dénouer des tensions psychiques aussi bien que des blocages mathématiques.
Et il est encore passionnant pour moi de retrouver à quel point les maths, ça renvoie au corps. A quel point les procédures algébriques - et toute procédure en général - est asséchante si elle ne renvoie pas à un _objet_ de la procédure - soit encore : du désir. Il en va de même en mathématique : une suite récurrente est l'effet d'un etc. sur une série de nombre qu'on se représentera dans la possibilité indéfinie d'effectuer un même geste. Un nombre se vit dans les doigts qui comptent, la capacité à empiler, mais aussi à regrouper (quand on multiplie). Il y a des choses à faire, mais ce faire n'est pas vide de sens, il renvoie à des opérations élémentaires; qui sont telles - élémentaires - parce que ce sont souvent des opérations cognitives de base (détourer des figures, compter, ajouter, retrancher, etc.).
Evidemment, ces opérations doivent avoir été acquises, et mises en correspondance avec le langage et les opérations de mathématiques. On va souvent trop vite, et certaines remarques conclusives sur le rythme d'apprentissage des concepts est sans aucun doute éclairant quant à la machine à échec qu'est en partie notre enseignement aujourd'hui.
Bref, à la fois éclairant, renseigné, intelligent et... évocateur. Car si les processus de l'abstraction mathématiques peuvent à ce point se voir liés aux mécanismes souvent secrets de nos émotions, que sont vraiment les mathématiques... et qu'est-ce que notre "personnalité" ?